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Etude juridique

Comment soustraire de la loi le classement des armes ?

vendredi 2 février 2018, par UFA

Dans la nuit du 31 janvier 2018 les députés ont supprimé de la loi le classement des armes et matériels de collection, pour le laisser à l’administration par voie de décret.
Il paraît que c’est pour respecter la hiérarchie des normes et que ce n’est pas à la loi de décider du classement des armes.
Il nous a paru important de décortiquer pour vous par quel cheminement juridique nous en sommes arrivés là.

Comment c’était avant ?

Jusqu’en 2012, l’article L.2331-1du Code de la Défense reprenant l’article 1er du décret-loi du 18 avril 1939 définissait et classait les matériels de guerre, armes et munitions en 8 catégories :

« I.- Matériels de guerre :
- 1ère catégorie : armes à feu et leurs munitions conçues pour ou destinées à la guerre terrestre, navale ou aérienne.
- 2e catégorie : matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu.
- 3e catégorie : matériels de protection contre les gaz de combat.

II.- Armes et munitions non considérées comme matériels de guerre :
- 4e catégorie : armes à feu dites de défense et leurs munitions.
- 5e catégorie : armes de chasse et leurs munitions.
- 6e catégorie : armes blanches.
- 7e catégorie : Armes de tir, de foire ou de salon et leurs munitions.
- 8e catégorie : Armes et munitions historiques et de collection »
.


Le dernier alinéa de ce même article renvoyait à un décret d’application, l’énumération précise des différents types de matériels, armes et munitions entrant dans chacune des catégories strictement définies par la loi (voir l’article 2 du décret du 6 mai 1995), tandis que l’article L. 2336-1 du Code de la Défense indiquait que l’acquisition et la détention des matériels, des armes et des munitions des 1ère, 2e, 3e et 4e catégories étaient soumises à autorisation, celles des 5e et 7e catégories étaient soumises à déclaration et celles des 6e et 8e catégories étaient libres. Il existait donc ici une double garantie quant à la définition des armes contenues dans chaque catégorie et quant à leur régime d’acquisition et de détention au sein de celles-ci.

Le Conseil d’état inverse la norme


Toutefois, depuis un arrêt "Taser" [1], l’administration a obtenu du Conseil d’Etat qu’un pistolet à impulsion électrique agissant à courte distance en propulsant deux électrodes crochetées propageant une onde électrique et une contraction musculaire intense, soit classé "en raison de sa dangerosité", dans la 4ème catégorie des "armes à feu dites de défense" au sens de l’article L. 2331-1 du Code de la Défense (bien que n’utilisant aucune munition à poudre caractéristique des armes à feu). En effet, selon lui, le pouvoir réglementaire ne serait pas tenu par la définition des armes à feu, telle qu’issue notamment, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ou de la Directive n°91/477/CEE du Conseil du 18 juin 1991 relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes ; empêchant ainsi toute exception d’illégalité du décret par rapport à la loi devant un tribunal.
Après cet arrêt, l’administration comprit l’intérêt pour elle de ne pas trop définir dans la loi les armes contenues dans chaque catégorie et de renvoyer systématiquement au seul décret leur définition précise, ainsi que leur classement au sein des catégories, afin d’en rester totalement maître et éviter toute illégalité ! C’est pourquoi, à la demande de l’administration, le Conseil d’Etat préconise systématiquement aujourd’hui, afin de lui éviter tout souci judiciaire face à un citoyen, que la classification des armes relève uniquement du règlement et du pouvoir exécutif et non plus de la loi et du pouvoir législatif.

Après la loi votée le 31 janvier 2018

C’est ainsi que l’article L. 2331-1 du Code de la Défense et l’article L311-2 du Code de la Sécurité Intérieure ont supprimé tout encadrement par la loi en disposant désormais que les matériels de guerre, armes et munitions sont classés 4 catégories :

« 
- 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention.
Cette catégorie comprend :

  • A1 : les armes et éléments d’armes interdits à l’acquisition et à la détention ;
  • A2 : les armes relevant des matériels de guerre, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat ;

- 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention ;
- 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention ;
- 4° Catégorie D : armes soumises à enregistrement et armes et matériels dont l’acquisition et la détention sont libres.
Un décret en Conseil d’Etat détermine les matériels, armes, munitions, éléments essentiels, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune de ces catégories ».

Un principe de contrôle administratif généralisé de la détention d’armes

Ainsi en passant de 8 à 4 catégories, les services de l’Etat ont réussi le tour de force de retirer de la loi toute précision légale qui aurait permis autrefois à un citoyen de faire déclarer illégal par un tribunal le classement irrégulier d’un matériel, arme ou munition. Désormais une insécurité juridique pèse sur le détenteur d’armes.
De plus, dans la mesure où, selon M. Chritophe Euzet, Rapporteur du projet de loi n°530,

« il s’agit d’une liberté publique et en aucun cas d’un droit fondamental reconnu dans la Constitution française de 1958 »


et que selon Mme Jacqueline Gourault, Ministre auprès du Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur,

«  je tiens à rappeler que notre dispositif juridique repose sur un principe de contrôle administratif généralisé de la détention d’armes, assorti de dérogations très encadrées. Ni le Gouvernement ni, je pense, la représentation nationale, ne sont disposés à inverser cette approche de fond et de principe, »


il apparaît bien que le principe général du droit prévoyant que « la liberté est le principe et la restriction de police l’exception » est renverser et que plus aucune garantie n’existe pour empêcher l’administration de procéder à des surclassements arbitraires avec tout ce que cela implique pour les collectionneurs en termes de propriété, d’héritage, de liberté de circulation et, bien sûr, de sanctions pénales en pareil cas.

Plus de référence à la loi

En effet, avec la dernière étape franchie lors du vote du 31 janvier 2018, en supprimant de la loi la référence à la catégorie D et à la détention libre (aux articles L 311-4 et L 312 4-2 du Code de la Sécurité Intérieure) pour renvoyer à une classification décidée par décret, le projet de loi conduit à ce que les matériels et armes historiques et de collection (cités à l’article L311-3 du CSI) ne soient plus classés par la loi en catégorie D et donc ne soient plus légalement en acquisition et détention libres. Ce qui signifie qu’à tout instant l’administration peut désormais décider de modifier le classement ou pire sortir de la détention libre les matériels et armes historiques et de collection sans en rendre compte à personne, voire même ordonner leur saisie et destruction sans indemnisation (la possibilité de leur neutralisation pour les conserver ayant été supprimée par le projet de loi). Il en va de même en matière de saisie, de transport et de port pour les matériels et armes historiques et de collection en cas de surclassement en catégorie C, B ou A.
De plus, en faisant remonter dans la catégorie C (armes soumises à déclaration) les armes neutralisées et certaines [2] reproductions ou répliques d’armes anciennes utilisées par les reconstitueurs lors des commémorations, le transport et le port de celles-ci deviendront quasi impossibles (hors carte du collectionneur), ce qui risque d’entrainer la mort des reconstitutions historiques ou commémorations avec défilé.
La boucle est bouclée, l’administration a aujourd’hui tous les pouvoirs et peut faire ce qu’elle veut, où elle veut, quand elle veut et avec qui elle veut, sans aucune limite ni contrainte, bafouant ainsi plus de deux siècles de démocratie parlementaire issue du siècle des lumières et de la Révolution de 1789. Voir article.

Une Nomenklatura omniprésente

La République qui était « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » serait-elle devenue une Nomenklatura chargée de restreindre chaque jour davantage nos libertés ?

 

[1CE, 3 décembre 2010, Société SMP Technologie - Association de tireurs et autres, N°332540, 332679,

[2Il s’agit des armes qui ne sont pas des reproductions conformes aux modèles originaux.

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