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Un triste anniversaire : le décret-loi du 18 avril 1939

mardi 26 mars 2019, par Erwan, Jean-Jacques Buigné, président de la FPVA

Le 18 avril marquera le quatre-vingtième anniversaire du décret-loi du 18 avril 1939 : un texte qui a gâché la vie des amateurs d’armes français pendant plus de 70 ans.

Comment en est-on arrivé là ?

Jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, la détention d’armes en France était régie par la Loi Farcy du 14 août 1885, qui laissait aux citoyens une totale liberté de détention et d’acquisition des armes de leur choix. Jusqu’en 1914, la classe politique, ainsi que l’armée, soutenaient activement la pratique du tir ainsi que l’entraînement à la manipulation des armes, qui étaient censés préparer aux combats à venir les futurs soldats qui seraient engagés dans la guerre qui se profilait contre l’Allemagne.

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Élèves d’un bataillon scolaire vers 1880 : une époque où l’armée et le gouvernement s’efforçaient de développer la pratique du tir en France. Voir articles.

Au cours des décennies qui suivirent l’armistice de 1918, les valeurs patriotiques, qui avaient présidé à la préparation de la population française à la guerre s’estompèrent et les politiciens s’efforcèrent de substituer au principe de liberté des armes, jusqu’alors en vigueur, un régime d’interdiction générale.
La détérioration du climat social en France comme en Europe, allait leur offrir les prétextes pour mener à bien leur funeste action :

- Le 6 mai 1932, le président de la République française, Paul Doumer, est assassiné par le terroriste Gorguloff, avec une arme que celui-ci avait achetée à Prague,

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Extrait du catalogue de la manufacture d’armes et cycles de St Etienne en 1910. A cette époque, l’armée française, souhaitant stimuler la pratique du tir, préférait vendre ses armes déclassées aux civils plutôt que de les détruire !


- En 1934, les classes moyennes sont désespérées par la constante détérioration de leur niveau de vie et exaspérées par plusieurs scandales financiers qui ruinent beaucoup de petits épargnants, alors que des politiciens corrompus se sont portés garants des affairistes véreux. En février 1934, alors que l’escroc Alexandre Stavisky a été opportunément « suicidé » pour qu’il ne risque pas de compromettre ses soutiens politiques, l’Action française et divers mouvements d’anciens combattants appellent la population à manifester. Le 6 février 1934, 130 000 manifestants réunis sur la place de la Concorde s’apprêtent à franchir le pont du même nom, afin d’envahir le Palais Bourbon (assemblée nationale) et de « foutre les députés à la Seine » ; Sur le point d’être débordé, le cordon de gardes mobiles qui barre l’accès au pont fait usage de ses armes et cause 15 morts et de nombreux blessés parmi les manifestants. Il y aura encore une quinzaine de morts au cours des manifestations organisées les jours suivants. Le gouvernement Daladier, aux affaires (c’est le mot qui convient !), au moment des événements, démissionne et laisse la place à une nouvelle équipe gouvernementale dite d’union nationale, conduite par Gaston Doumergue.

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Atteint par les balles du terroriste Paul Gorgouloff, lors qu’il visitait le salon des écrivains anciens combattants de la Première Guerre mondiale le président Paul Doumer est transporté à l’hôpital Beaujon ; où il décédera au cours de la nuit. Cet assassinat souleva une émotion considérable en France et l’utilisation par l’assassin d’un pistolet Browning modèle 1910 qu’il avait acheté à Prague, commença à remettre en cause la liberté d’importation, de commerce et de détention des armes.


- Le 9 octobre 1934 le roi de Yougoslavie Alexandre 1er est assassiné par un terroriste croate [1]. Le ministre français des affaires étrangères, Louis Barthou, venu l’accueillir et l’accompagner à Paris, fut touché lui aussi par la fin de la rafale et décéda faute de soins médicaux appropriés.

- En juillet 1936, les troupes espagnoles, stationnées au Maroc, se soulèvent contre le gouvernement de Madrid. Il en résulte une cruelle guerre civile qui se prolongea jusqu’en avril 1939. Le camp nationaliste était soutenu techniquement et ravitaillé en armes par l’Allemagne et l’Italie alors que le camp républicain recevait armes et matériels du Mexique et de l’Union Soviétique. La Grande Bretagne s’en tenait prudemment à une neutralité stricte et un principe de non intervention, auquel le gouvernement du Front populaire, au pouvoir en France, se rallia à contrecœur, tout en fermant les yeux sur les divers trafics d’armes destinés à ravitailler les Républicains, ainsi que sur le recrutement de volontaires pour combattre en Espagne (brigades internationales). Peu à peu, le territoire français, du fait de sa frontière commune avec l’Espagne ; devint une plaque tournante du trafic d’armes à destination des Républicains.

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Manifestants d’une ligue d’anciens combattants, le 6 février 1934


- Le 11 septembre 1937, deux bombes explosent rue de Presbourg à Paris : l’une devant le siège du patronat français, l’autre visant la fédération de la métallurgie. Les corps de deux agents de police en faction dans ce secteur seront retrouvés plus tard sous les décombres. L’enquête permet assez rapidement d’établir que cet attentat était une provocation, destinée à justifier le déclenchement d’une répression contre le parti communiste. En réalité, les bombes avaient été posées par une organisation secrète d’extrême-droite : le CSAR (Comité secret d’action révolutionnaire)., Ses membres sont principalement recrutés parmi d’anciens membres de l’action française et des Ligues nationalistes, déçus par l’indécision et le légalisme de leurs anciennes formations, qui ont choisi de passer à l’action violente et clandestine. Outre la déception causée par l’échec du 6 février 1934, les événements d’Espagne et les récits des exactions commises dans ce pays par les anarchistes, les trotskistes et les communistes, incitèrent beaucoup de Français de droite à s’engager dans des organisations paramilitaires capables de s’opposer à un coup de force communiste. Cette tendance fut encore renforcée par l’arrivée au pouvoir du Front populaire. Les plus déterminés de ces hommes rejoignirent une organisation clandestine d’extrême droite appelée CSAR, créée par un ingénieur des travaux maritimes, ancien combattant et ancien polytechnicien : Eugène Deloncle. Le CSAR passa à la postérité sous le nom de « Cagoule », inventé par des journalistes inspirés. Les « cagoulards » commencèrent à se doter d’une organisation militaire et à constituer des stocks d’armes clandestins. En cas de tentative de coup d’état communiste, les groupes de combat du CSAR devaient dans un premier temps défendre certains objectifs stratégiques, puis s’appuyer sur l’armée, où la Cagoule jouissait de solides sympathies, pour renverser le République et établir un régime autoritaire. En attendant le « grand soir », la Cagoule remplit divers dépôts clandestins d’armes achetées en Allemagne et en Italie. En 1937, les enquêtes que la police a ouvert sur le mouvement aboutissent à la découverte de plusieurs dépôts d’armes, dans lesquels les enquêteurs sont effarés de découvrir un armement moderne et de qualité : carabines Mauser, armes de poing diverses, fusils mitrailleurs Hotchkiss et quantité de pistolets mitrailleurs : un type d’arme admirablement adapté à la guérilla urbaine, dont ni la police ni l’armée ne disposaient à cette époque !

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Assassinat du Roi Alexandre 1er de Yougoslavie à son arrivée à Marseille le 9 octobre 1934. Le Lieutenant-Colonel Piolet, qui escortait le véhicule officiel sabre le terroriste accolé au véhicule.
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Eugène Deloncle, créateur du CSAR : un mouvement clandestin, ayant opté pour la lutte armée et l’action violente, que les journalistes surnommeront « La Cagoule ».

Au cours de l’année suivante, le CSAR sera démantelé, mais le gouvernement ne pouvait plus tolérer que l’importation, l’achat et la détention de certaines armes restent libres !

La réaction gouvernementale

Après la fin de la Première guerre mondiale, on vit se multiplier les actions parlementaires, visant à restreindre la liberté en matière d’armes, dont jouissaient jusque-là les Français. Ce durcissement de l’attitude du pouvoir vis à vis des armes trouve son origine principale dans la « Convention pour le contrôle du commerce international des armes et munitions et des matériels de guerre », signée à Genève le 17 juin 1925 et ratifiée par la France le 9 mai 1930 [2]. Elle fut rédigée et signée lors de la conférence sur le contrôle du commerce international des armes et des munitions, qui se tint à Genève du 4 mai au 17 juin 1925 sous l’égide de la Société des Nations. Cette convention sur le contrôle du commerce international des armes, munitions et instruments de guerre, n’est pas entrée en vigueur.]]. Cette convention avait pour objectif l’instauration d’un régime général de contrôle des armements. En 1935, on évaluait à 5 millions le nombre des armes détenues par les particuliers [3].

Toutefois, les projets de loi déposés en France, se heurtèrent à chaque fois à la vive opposition des détenteurs d’armes, soutenus par leurs élus, qui ne pouvaient se mettre à dos l’électorat des chasseurs, par l’armée, qui appréciait d’avoir des citoyens formés au maniement des armes et disciplinés par la pratique du tir et aussi par les professionnels : armuriers et industriels de l’armement, encore nombreux à cette époque en France.

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Deux inspecteurs examinent les armes trouvées dans une cache de la « cagoule » : celui de droite a en mains une carabine semi-automatique Beretta modèle 18/30. Son collègue tient un PM Schmeisser MP28/II, dont le mouvement détenait de grandes quantités (ainsi que des Bergmann MP35/I). Des fusils mitrailleurs Hotchkiss, probablement détournés chez le fabricant, sont posés par terre lors de de nombreuses carabines K98a, probablement rescapées du champ de bataille, sont appuyés contre le mur du fond. La détention par les groupes de combat de la « Cagoule » d’armement compact, performant pour l’époque et homogène, encouragea le gouvernement à refondre la législation des armes en France.

Les graves troubles à l’ordre public survenus le 6 février 1934, donnèrent au pouvoir le prétexte si longtemps attendu pour faire passer un texte restrictif : ce fut le décret Laval du 23 octobre 1935 « portant réglementation de l’importation, de la fabrication, du commerce et de la détention des armes  », qui instaure pour la première fois en France l’obligation de déclarer la détention des armes à feu. Contrairement à d’autres textes précédents, ce décret fut effectivement publié et entra en application.
Ce climat explosif, joint à une situation internationale très tendue en Europe, fit octroyer le 19 mars 1939 [4] au gouvernement Daladier, des pouvoirs spéciaux lui permettant de prendre, par décret en Conseil des ministres, les mesures nécessaires à la défense du pays. Le pouvoir décida alors d’entreprendre une refonte en profondeur de la réglementation des armes connue sous le nom de décret-loi du 18 avril 1939 [5] « fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions » . Le texte fut à l’époque considéré comme un texte d’exception dont la finalité était d’organiser une nation en temps de guerre. Le gouvernement Daladier décida par ailleurs d’autres mesures destinées à préparer le pays à la guerre : accélération de la fabrication des armements, constitution de stocks de matériels complétée par des achats à l’étranger, augmentation de la durée du travail dans les établissements intéressant la défense nationale, facilités accordées à la trésorerie des industries travaillant pour la défense nationale et renforcement des cadres de l’armée. Le décret-loi du 16 avril 1939, classait les armes en huit catégories et plaçait leur contrôle sous l’autorité des armées.

Les armes tirant une cartouche réglementaire dans une quelconque armée, étaient classées en 1ère catégorie : celle des armes de guerre. Cette mesure avait pour finalité d’empêcher des organisations subversives de constituer aisément et impunément des stocks d’armes tirant des cartouches homogènes. Les armes de chasse (5ème catégorie), blanches (6ème catégorie), de salon (7ème catégorie) et de collection (8ème catégorie), comprenant les armes d’un modèle antérieur à 1870), restaient en détention et acquisition libres. Celles des autres catégories étaient interdites ou soumises à restrictions d’acquisition.
Le décret-loi du 18 avril 1939 n’a jamais été soumis à la ratification des Chambres, alors que l’article 41 prévoyait expressément cette procédure parlementaire ; d’où un certain flou concernant sa place dans l’échelle des normes juridiques.

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Le président du Conseil Édouard Daladier, qui présida, dans une situation d’exception, à l’adoption du décret-loi du 16 avril 1939.

Sous l’occupation allemande, il a contribué à désarmer la population et à mettre en danger les citoyens qui avaient déclaré leurs armes. Ce texte, adopté dans une situation d’exception, aurait dû être revu après la Libération, mais il n’en fut rien car la France resta dans une situation de grave instabilité pendant bien des années (menace de guerre civile à la fin de la guerre, grèves insurrectionnelles imposant l’intervention de l’armée en 1946-1947. Situation insurrectionnelle en Algérie puis exportation du terrorisme du FLN vers la métropole, terrorisme de l’OAS, activisme gauchiste après mai 68, activisme nationaliste breton, basque, corse etc.
Il fallut attendre la loi du 6 mars 2012 pour un « contrôle modernisé, simplifié et préventif des armes », pour que certaines des clauses les plus insupportables pour les tireurs et collectionneurs soient enfin abrogées, en particulier le classement par calibre, qui entraîna la modification de nombreuses armes militaires.
Depuis six ans, les amateurs d’armes ne vivent plus sous le régime du décret-loi du 16 avril 1939 et si notre réglementation est encore loin d’être parfaite, l’abandon du classement par calibre, le nombre d’autorisations d’achat d’armes de catégorie B pouvant être obtenues à titre sportif porté à 12, le choix de fixer l’année 1900 comme millésime limite pour les armes de collection, ont toutefois apporté de grandes améliorations à notre sort, même si l’arbitraire, l’instabilité des textes et la malveillance administrative continuent à nous gâcher la vie, sans réelle contrepartie positive pour la sécurité publique.

Conclusion

Au moment où nous commémorons ce triste anniversaire, il est impossible de ne pas avoir une pensée pour certains collectionneurs honorables qui ont dû se cacher toute leur vie, pour sauvegarder quelques fusils Lebel ou quelques Mauser. Ces malheureux ont aujourd’hui disparu sans avoir jamais pu jouir librement et légalement de leur collection. N’oublions pas non plus ceux qui ont eu moins de chance et qui, après s’être fait prendre en possession de ce genre d’objets, ont été pris dans l’engrenage redoutable de la machine juridico-policière et y ont parfois beaucoup perdu.

Sources : Nous nous sommes appuyés pour cet article, sur l’étude menée par Maître Jean Paul Lemoine, membre du Conseil d’Administration de l’UFA, qui a recensé et analysé en détail ces éléments dans sa thèse soutenue pour l’obtention du grade de docteur en droit de l’Université de Champagne-Ardenne le 26 octobre 2005
Voir aussi : Le décret-loi de 1939 est-il légal ?
Consulter la rubrique  : Histoire de la règlementation des armes.
 

[1Pour son action, l’assassin était porteur d’un Walther PP et d’un Mauser C96 « Schnellfeuer pistole »

[2Il ne faut pas confondre ce texte avec le « Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques » signé aussi à Genève le 17 juin 1925 et dont la France est dépositaire[[J. O., 29 août 1928, p. 9807

[3P. BOURGOIN, De la fabrication, de la détention, du port et de l’usage des armes, p. 43.

[4Publiée au J. O. le 20 mars 1939.

[5Décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, J. O., 13 juin 1939, pp. 7463-7466.

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