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Gazette des armes n° 436, novembre 2011
Et si nous parlions de dangerosité ?
mardi 18 octobre 2011, par
Le dernier décret en Conseil d’Etat introduit dans notre droit une nouvelle notion pour le classement des armes : la dangerosité. Déjà la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale avait avancé cette notion sur proposition du Conseil d’Etat. Jusqu’alors, le décret de 1995 et le décret loi de 1939 prévoyaient seulement le classement par destination : guerre, défense et sport, etc…
La dangerosité est un terme subjectif et donc sujet à interprétations et qui ne figure pas dans le droit français
Le droit en vigueur en France repose encore sur le décret de 1995, modifié ad nauseam, qui reprend le classement des armes « par destination » du décret de 1939. Il est donc surprenant de constater l’apparition prématurée du critère de « dangerosité » dans un décret modifiant le décret de 1995 mais force est de constater que le Ministère de l’Intérieur a depuis longtemps pris des libertés.. ..avec les libertés.
Nous avions déjà dénoncé une dérive que l’administration essayait d’introduire dans notre droit : la notion de dangerosité. Cette notion a été introduite subrepticement en 2008 à l’occasion d’une loi sur l’irresponsabilité pénale. Mais il s’agissait de définir les individus qui à l’occasion de la fin de l’accomplissement de leur peine pouvaient être dangereux.
Aujourd’hui, il s’agit de tout autre chose. Ce ne sont plus les gens qui sont visés mais les objets qui, par essence propre, sont inanimés. La proposition de loi n° 2773 Bodin, Le Roux, Warsmann, après son passage en commission des lois, employait déjà ce terme 5 fois dans l’exposé des motifs et le texte lui-même. La loi adoptée en 1ère lecture par les députés le 23 janvier 2011 l’employait encore 4 fois. Mais entretemps le Conseil d’Etat avait déjà appliqué une notion encore inexistante dans la règlementation des armes. Cette haute institution affirme dans un arrêt « qu’il appartient au pouvoir règlementaire de classer dans la 4ème catégorie les armes et munitions dont l’acquisition et la détention doivent, en raison de leur dangerosité, être soumises à un régime d’autorisation. »
Il est surprenant de noter que ce nouveau concept, introduit en novembre 2010 dans une proposition de loi, trouve déjà son application un mois après, alors que la loi n’a même pas terminé son parcours législatif et n’est pas promulguée ! Mais alors, à quoi servent les parlementaires ?
Contraire à la loi
Si l’on retrouve cette notion dans les travaux préparatoires de la proposition de loi Bodin, Le Roux, Warsmann, c’est bien parce que cette notion est du domaine législatif et non du domaine règlementaire.
Le paradoxe est manifeste dans la mesure où ce nouveau décret, pris à la demande du Ministère de l’Intérieur, est censé appliquer le Code de la Défense (Art L2331-1) qui emploie les critères de destination (guerre, défense et sport) pour le classement des armes et non celui de dangerosité. Ce dernier critère n’a d’autre utilité que de pouvoir faire glisser le classement des armes d’une catégorie à une autre de façon totalement arbitraire. En effet le Conseil d’Etat indique dans le même arrêt qu’il n’y a pas besoin d’ordonner une expertise pour prouver « que l’emploi d’un pistolet à impulsion électrique … …comporte des dangers sérieux pour la santé ».
Si l’expertise n’est pas nécessaire pour apprécier la dangerosité, c’est donc bien l’administration qui décide seule, sans l’aide d’expert et sans aucun contrôle. Je croyais que la monarchie absolue était abolie depuis longtemps. Constatons que c’est bien l’administration qui aujourd’hui détient le pouvoir absolu en publiant des actes règlementaires d’application immédiate.
Dès lors, une question s’impose :
La directive européenne prend le soin d’énumérer le contenu des 4 catégories A, B, C et D. Les législations européennes sont donc censées appliquer ladite directive et classer les armes dans les catégories qu’elle prescrit. Alors, pourquoi l’administration française déciderait elle seule de ce classement au mépris de la directive ? Ce serait alors la vider de son sens.
Pour résumer, on peut dire que cette disposition est anti constitutionnelle, anti conventionnelle et enfin qu’elle est illégale. Elle est donc contraire à trois niveaux de textes européens, constitutionnels et législatifs. L’administration française, en l’espèce le Ministère de l’Intérieur n’a que faire de l’état de droit et le Conseil d’Etat a, encore une fois, confirmé qu’il appliquait le vieux principe de notre droit administratif : « Le roi ne saurait mal faire » pour restreindre les libertés des citoyens. Il ne reste plus qu’à aller devant la Cour de Justice Européenne pour faire cesser ce déni de droit, prévu par cette exception française qu’est notre droit administratif, qu’aucun autre état européen n’a adopté.