Port d’armes de catégorie D : les amateurs d’armes sur le fil du rasoir
jeudi 26 septembre 2024, par
Depuis le 17 avril 2024, 12 métropoles expérimentent la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle de 500 euros en cas de port ou transport sans motif légitime d’une arme de catégorie D, comme les petites bombes lacrymo et certains couteaux. Nous alertons les amateurs d’armes de ne surtout pas accepter cette « facilité de procédure ».
La Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI) prévoit la mise en place d’amendes forfaitaires pour 85 délits qui nécessitaient auparavant des procédures judiciaires plus traditionnelles.
En ce qui concerne le délit de port ou transport d’arme de catégorie D sans motif légitime, une expérimentation de cette amende est en cours depuis le 17 avril 2024 dans les zones qui dépendent des parquets de Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Pontoise, Rennes, Saint-Etienne, Toulouse et depuis le 2 mai 2024 dans celles qui dépendent du tribunal judiciaire de Paris.
- Jean Pierre Bastié intervient sur la chaîne TOCSIN sur le problème des couteaux
- Cliquez sur l’image pour avoir accès à la Vidéo de Tocsin
L’amende ne pourra être dressée que s’il y a remise volontaire de l’arme aux forces de l’ordre, dans les autres cas c’est la procédure judiciaire classique qui s’applique, avec des peines bien plus élevées et d’autant plus si les faits sont réalisés en réunion. [1]
Le port du couteau : une tradition française
En France, le port du couteau est bien plus qu’une simple habitude, c’est une tradition ancrée dans notre histoire et notre culture, d’autant que nous avons nombre de fabricants historiques de couteaux emblématiques : Opinel, Laguiole, Thiers-Issard, Chambriard… Nous avons même une appellation, Le Thiers, issue de la ville éponyme, capitale de la coutellerie.
Aujourd’hui, le port du couteau va bien au-delà de son aspect traditionnel, il est devenu un accessoire indispensable pour de nombreuses personnes, qui l’utilisent pour une multitude de tâches au quotidien. Des agriculteurs aux randonneurs, des chefs cuisiniers aux amateurs de bricolage, le couteau est un outil polyvalent qui s’adapte à tous les besoins. Certains préfèrent les couteaux suisses ou autres couteaux multifonctions modernes, offrant une gamme d’outils pratiques dans un seul objet compact. Malheureusement, de nombreux citoyens se retrouvent inquiétés pour avoir porté cet objet dont ils ne voyaient que l’aspect pratique, mais que l’Etat considère comme une arme dangereuse pour la sécurité publique.
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L’amende forfaitaire : une solution alléchante
Pour l’État, une amende forfaitaire délictuelle permet de simplifier les procédures et de désengorger les tribunaux. Pour le citoyen, en cas de délit, une amende forfaitaire peut être une solution alléchante de prime abord : en effet, la justice fait peur, et accepter de payer une simple amende permet d’éviter une procédure judiciaire longue et complexe, probablement des frais d’avocat, sans compter le stress jusqu’au verdict et le passage devant les juges…
- Ancienne flamme à saignée, il s’agit d’un outil de vétérinaire ou de maréchal ferrant, comprenant une lame. Fabriqué par Duvert Frères à Thiers. Cliquez sur l’image pour agrandir.
Brocante Rock’n’Broc à Caen © Facebook
On comprend donc très bien que beaucoup acceptent cette procédure simplifiée pour passer à autre chose au plus vite et sortent avec un grand « ouf » de ce mauvais quart d’heure.
Mais cette simple amende, apparemment sans conséquences, peut s’avérer catastrophique dans la vie d’un détenteur d’armes légales : en effet, pour port ou transport d’arme de catégorie D sans motif légitime, il s’agit d’une amende forfaitaire de cinquième classe, et le paiement de ces amendes est, depuis le 23 mars 2019 [2], inscrit au casier judiciaire [3]. N’importe quelle enquête administrative, par exemple celle diligentée par la préfecture pour une demande d’autorisation de détention, ou lors d’un simple criblage [4] annuel des détenteurs d’armes, fera mécaniquement ressortir cette inscription problématique au casier judiciaire. Le préfet se retrouvera alors en situation de « compétence liée », c’est à dire que son action sera dictée par les textes en vigueur qu’il sera contraint d’appliquer : l’infraction pour port ou transport d’armes de catégorie D se trouvant sur la liste des crimes et délits entraînant une inscription automatique au FINIADA [5], le Préfet devra obligatoirement y inscrire le détenteur.
C’est le paiement de l’amende qui met fin à l’action publique, et déclenche l’inscription au casier judiciaire. Une fois l’amende payée, même partiellement en cas de facilités de paiement, c’est un peu comme un aveu de culpabilité : on ne dispose donc plus d’aucune voie de recours ou de contestation. L’amende forfaitaire est d’autant plus insidieuse qu’elle est moins chère si le paiement est réalisé immédiatement auprès de l’agent qui dresse l’avis, que si elle est payée à postériori ! Encore une tentation supplémentaire de passer par cette procédure simplifiée, sans avoir le temps d’étudier les voies de recours ou la caractérisation réelle de l’infraction ! Nous vous invitons à lire cet article d’un avocat sur une situation similaire pour les délits routiers.
A noter qu’il en va de même pour les procédures de rappels à la loi [6], dont nous avons déjà parlé dans un article. Prudence donc avant de prendre ces portes de sorties apparemment salvatrices que vous pourriez regretter amèrement par la suite.
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Port du couteau : une infraction parfois mal caractérisée
Bien entendu, le but de cet article n’est pas de défendre des délinquants. Si un délit a réellement été commis, que ce soit en passant par une amende forfaitaire ou devant un juge, cela ne changera pas grand-chose et il faudra en assumer toutes les conséquences. Il se trouve cependant qu’il règne un certain flou sur le sujet du port du couteau, et notamment des petits canifs, couteaux traditionnels, ou autres multi-outils comme des couteaux suisses. Certains sont parfois considérés à tort comme des armes de catégorie D alors qu’il existe pourtant des définitions et une jurisprudence sur le sujet.
Le classement découle des textes, auxquels il faut ajouter une bonne dose de bon sens :
Définition de l’arme blanche dans le Code de la Sécurité Intérieure [7] : « toute arme dont l’action perforante, tranchante ou brisante n’est due qu’à la force humaine ou à un mécanisme auquel elle a été transmise, à l’exclusion d’une explosion ; »
- Le couteau Laguiole, compagnon idéal et traditionnel Français !
© Adobe Stock
Définition de l’arme dans le code pénal [8] : « Est une arme tout objet conçu pour tuer ou blesser.
Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer. »
Classement en catégorie D§a) [9] : « Tous objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique dont : les armes non à feu camouflées, les poignards, les couteaux-poignards, les matraques, les projecteurs hypodermiques et les autres armes figurant sur un arrêté du ministre de l’intérieur ; »
Définition des Douanes [10] : elle est fondée sur 5 critères cumulatifs. En l’absence d’un seul critère, ce n’est pas une arme blanche :
- « lame solidaire de la poignée ou équipée d’un système permettant de la rendre solidaire du manche ; »
- « à double tranchant sur toute la longueur ou tout au moins à la pointe ; »
- « d’une longueur supérieure à̀ quinze centimètres ; »
- « d’une épaisseur au moins égale à̀ quatre millimètres ; »
- « à poignée comportant une garde. »
En général, le juge pénal ne se sent pas lié par les 5 critères de la Douane, et considère tout couteau comme une arme, nécessitant donc un motif légitime pour son port ou son transport. Cela a d’ailleurs été rappelé à l’occasion d’une question parlementaire en 2013 : « le port et le transport des couteaux qui ne sont pas des armes énumérées, est permis dès lors qu’il existe un motif légitime » et « la légitimité du port et du transport suppose que le couteau porté ou transporté présente des caractéristiques d’utilisation par rapport à l’activité pour laquelle il est effectivement utilisé ». Dans les faits, le juge retiendra plus facilement le motif légitime pour des couteaux pliants sans système de blocage de la lame. Attention aussi aux règles qui peuvent s’appliquer à certains lieux spécifiques, comme les aéroports ou les tribunaux, ainsi qu’à certains arrêtés qui peuvent êtes pris dans des circonstances exceptionnelles comme pour les manifestations contre les méga-bassines en mars 2023, les émeutes en juin et juillet 2023, ou plus récemment pour le passage de la flamme olympique.
Rappelons que même dans le cas où un objet n’est pas considéré comme une arme à part entière, comme cela a pu être le cas dans certaines jurisprudence pour les couteaux traditionnels ou les couteaux Laguiole, il peut cependant être considéré comme arme par destination en fonction de son usage, des intentions du porteur et malheureusement souvent des circonstances (notion de motif légitime). Un avocat célèbre rappelait d’ailleurs qu’un code de procédure civile lancé à la tête d’un magistrat constituait une arme par destination !
Exception : le port ou le transport de certaines armes de catégorie D ne constitue pas un délit Selon un arrêté du 30 aout 2013, le port et le transport sans motif légitime d’armes et lanceurs dont le projectile est propulsé de manière non pyrotechnique avec une énergie à la bouche comprise entre 2 et 20 joules, c’est à dire des armes de la catégorie D§h) ne constituent pas un délit, mais sont punis par une contravention de quatrième classe, qui n’est donc pas mentionnée au casier judiciaire. Quant aux munitions de ces armes et lanceurs, en catégorie D§h bis), le même arrêté indique que leur port et leur transport sont libres, tout comme les munitions d’armes à poudre noire sans étuis métalliques de catégorie D§j) ainsi que certains matériels de guerre neutralisés ou rendus impropres au tir, décrits dans l’arrêté. |
Amende forfaitaire : dérives et injustices
- Ce couteau suisse de marque Wenger dispose de 141 outils ! Il s’agit bien entendu d’un modèle destiné à la collection. Un véritable « arsenal » à lui tout seul s’il venait à être considéré comme arme !
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Jim Sheeley © CC BY-NC-ND 2.0
Le Défenseur des droits mettait en avant trois problèmes majeurs concernant ces amendes forfaitaires délictuelles :
- Le risque d’arbitraire, les agents verbalisateurs étant libres de recourir ou non à cette procédure ;
- Le risque d’erreur de qualification des faits, les agents verbalisateurs manquant de formation, d’encadrement et de contrôle ;
- Un mode de contestation trop complexe qui porte atteinte au droit de recours.
Si bien que le Défenseur des droits recommande de mettre fin à cette procédure. Pour l’instant, il n’a pas été suivi par le gouvernement.
Ce point est aussi l’occasion d’aborder un autre aspect de la question des couteaux ou de certaines autres armes de catégorie D : la défense personnelle. Il ne sera bien entendu pas possible d’invoquer la défense personnelle comme motif légitime pour le port d’un couteau, mais quid d’une bombe lacrymo ou d’un shocker à impulsion électrique ? Nous savons tous, et avons parfois même des exemples dans notre entourage, que des policiers seront plus enclins à laisser passer le port d’une bombe lacrymo pour la défense à une femme ou à un vieil homme qui rentrent seuls dans un quartier sensible le soir, qu’à un jeune homme en pleine journée. Une sorte de tolérance à géométrie variable qui n’a pas fini de faire couler de l’encre et créer un sentiment d’injustice et d’arbitraire, surtout avec une insécurité grandissante dans certains quartiers.
- Ces pinces multifonctions modernes sont très populaires ces dernières années. Mais attention, elles proposent en général un système de blocage de la lame. Il est prudent d’avoir un motif légitime pour leur port ou leur transport. © Adobe Stock
Que faire en cas de doute ?
Après avoir lu attentivement les différents textes et définitions que nous donnons dans nos articles, vous aurez une bonne idée des faits, de si vous aviez ou non un motif légitime, et de si vous avez ou non effectivement commis un délit. Si tel n’est pas le cas, il va falloir contester pour éviter une inscription injuste au casier judiciaire et toutes les conséquences qui en découlent. Nous vous conseillons de prendre connaissance de cet excellent article du cabinet d’avocats Le Dall.
Gardez en tête que même en cas de condamnation, il est possible au moment du procès de demander au juge de ne pas inscrire la condamnation au volet n°2 du casier judiciaire : c’est ce volet qui est consulté lors des enquêtes administratives. Il ne s’agit pas d’une demande de droit, il faudra donc convaincre le juge du bien-fondé de la requête et il est bon de se faire assister par un avocat pour cela.
J’ai déjà payé l’amende, que faire ?
Une fois l’amende payée, comme dit précédemment, vous n’avez plus de voies de recours pour contester l’infraction et elle apparaîtra donc sur votre casier judiciaire. Vous pouvez cependant tenter d’agir pour faire effacer votre casier judiciaire, les mentions au fichier TAJ et finalement votre inscription au FINIADA si elle a déjà eu lieu. Il peut être également utile de se faire assister d’un avocat pour ces procédures.
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De nombreuses fausses informations sont véhiculées sur le sujet des couteaux. Regardez les journaux, pas deux qui disent la même chose, entre ceux qui affirment que « l’opinel a été interdit en dehors du domicile », ceux qui disent qu’on peut le transporter parce qu’il ne correspond pas à la définition de la douane, ceux qui parlent d’une « nouvelle loi qui interdit les canifs », etc. Il est regrettable que les journalistes n’aient pas lu notre article en ligne depuis avril 2024 et qui contient les bonnes informations. Tout le monde se réveille en septembre !
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[2] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
[4] « Criblage » est un terme opérationnel qui désigne la consultation d’un ou de plusieurs fichiers afin d’en déterminer la présence ou non d’un individu. Pour les amateurs d’armes, on parle ici notamment du FINIADA, du casier judiciaire, du TAJ mais aussi du fichier Hopsy pour les antécédents psychiatriques.
[6] Les rappels à la loi n’existent plus, ils ont été remplacés par l’avertissement pénal probatoire