Fichiers informatiques : Edvige suscite bien des troubles
Edvige va-t-elle recenser Edvige ?
vendredi 4 juillet 2008
Une fois de plus les fichiers informatiques et le traitement de données de masse suscitent des craintes. Dernier phénomène en date, Edvige. Le ministre de l’Intérieur vient d’être autorisé à mettre en œuvre ce système EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale).
Voir article : il faut adopter de solides principes de protection des données si l’on veut éviter l’apparition d’une société de surveillance de Thomas Hammarberg Commissaire aux droits de l’homme
L’objectif est simple : il s’agit de centraliser tout un lot d’informations pour éclairer au mieux le gouvernement et les représentants locaux de l’État.
Trois catégories très vastes
Ces infos concernent les personnes qui ont sollicité, exercé ou exercent encore un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux « significatif ». Autant dire : tout acteur social en raison de ses écrits, ses paroles, son action, sa profession, etc.
Mais ce n’est pas tout, le fichier contiendra également le fichier des données sur les individus, groupes, organisations et personnes morales (société, association, etc.) qui, en raison de leur activité (individuelle ou collective), sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. C’est le risque de trouble social qui justifie un enrichissement à tour de bras de ce fichier.
Enfin, le fichier en question permettra aux services de police d’exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées pour déterminer si le comportement des candidats à des fonctions ou des missions envisagées est compatible.
Une citerne de données par personne
Le fichier est particulièrement vaste puisque pour les personnes physiques de plus de treize ans, il enregistrera les... :
informations ayant trait à l’état civil et à la profession ;
adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ;
signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ;
titres d’identité ;
immatriculation des véhicules ;
informations fiscales et patrimoniales ;
déplacements et antécédents judiciaires ;
motif de l’enregistrement des données ;
données relatives à l’environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle.
Principales garanties : les informations collectées seront limitées au strict nécessaire et ne peuvent porter ni sur le comportement ni sur le déplacement des personnes (alors que ces mentions apparaissent dans la liste !). Et pour les moins de 16 ans, il n’y aura enregistrement que s’il y a effectivement risque de trouble à l’ordre public.. La conservation des informations pourra être particulièrement longue, par exemple jusqu’à cinq ans pour les données collectées pour les besoins d’une enquête administrative
Un accès vaste mais conditionné
Pourront accéder à ces bases, les fonctionnaires habilités de la sous-direction de l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique, les fonctionnaires des services d’information générale des directions départementales de la sécurité publique ou, à Paris, de la préfecture de police. Mais encore n’importe quel agent de police ou de gendarmerie sur demande expresse et motivée, avec aval hiérarchique.
« Le traitement et les fichiers ne font l’objet d’aucune interconnexion, aucun rapprochement ni aucune forme de mise en relation avec d’autres traitements ou fichiers » tente en outre de rassurer ce texte. Le décret du 27 juin 2008 a été publié au journal officiel ce 1er juillet.
Réserves de la CNIL et critiques de la LDH
La CNIL avait émis des réserves sur ce texte, notamment sur la durée de conservation des données. Mais pas seulement. La Commission indique au journal Libération que le gouvernement voulait faire passer le texte sans publication au journal officiel. Elle signale cependant que « ce type de fichier qui recense des données a toujours existé, ce n’est pas une nouveauté. C’est simplement une adaptation au nouveau système de renseignements, de la fusion des RG et de la DST », tout en admettant qu’il a bien un excès de fichage. L’avis de la CNIL n’était que « simple » et ne lie en rien le gouvernement, qui a pu donc l’ignorer (comme avec l’avant projet Hadopi).
De son côté, la ligue des droits de l’homme s’est fendue d’un communiqué pour dénoncer ce texte qui étiquette d’avance les futurs délinquants hypothétiques « Le soupçon préventif suffit à justifier le fichage] », et ce, dès 13 ou 16 ans. La LDH rappelle à ce titre la prédiction de Thomas Jefferson : « Quiconque est prêt à sacrifier sa liberté pour un peu de sécurité provisoire ne mérite ni l’une ni l’autre et perdra les deux ».
Rédigée par Marc Rees