Article paru dans la Gazette des armes n°556 d’octobre 2022

Munitions poudre noire : sujet explosif !

dimanche 30 octobre 2022, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

Dans le bulletin Légi-arm de notre association, nous avons déjà publié quelques informations sur le prochain reclassement des munitions à poudre noire utilisables dans les armes pré/1900. Depuis, nous avons pu mesurer combien il s’agit d’un sujet sensible : les tireurs détenteurs de catégorie B, les armuriers et l’administration trouvent cela plutôt bien. A l’inverse, les collectionneurs sont fort mécontents. Alors nous allons décrypter le dossier.


- Pour comprendre le régime juridique ;
- Les FAQ tentent d’apporter des réponse aux questions que l’on peut se poser.

Dernière minute :
le décret qui devait contenir ces disposition est repoussé à la fin de l’année, le Conseil d’État ayant souhaité qu’il soit fractionné selon les sujets en plusieurs textes. Il est probable que les dates d’application seront revues.
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Les munitions touchées

Le Code de la Sécurité Intérieure définit ainsi les munitions de collection [1] : « Munitions et éléments de munition à poudre noire utilisables dans les armes historiques et de collection ainsi que les munitions des armes du h de la présente catégorie.  » A quelques mots près, c’est la définition qui existe depuis 1973 dans une version plus précise.

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Dans sa collection ce « pyrothécophile » a réuni des boites vides et des munitions de catégorie A ou B sont qui sont neutralisées (Art. R311-1-I-26°du CSI) avec : étui percé, poudre vidée et amorce percutée. Notons qu’il peut posséder jusqu’à 500 munitions de catégorie C (non neutralisées) sans justificatif. (Art. R312-63 du CSI.)

Jusqu’à présent, il suffisait que la munition remplisse deux conditions pour être considérée comme « de collection » : qu’elle soit utilisable dans des armes d’un modèle antérieur à 1900 et qu’elle soit chargée à poudre noire. Ainsi, une munition pour une arme pré/1900 chargée avec une autre poudre que de la poudre noire, ne pouvait pas être considérée comme une munition de collection.
Or depuis 40 ans se vendent sur le marché des munitions de fabrication moderne qui remplissent les deux conditions : arme avant 1900 et poudre noire. On trouve ces munitions très facilement sur Internet et elles sont présentes sur certains stands dans les bourses aux armes. Il faut dire aussi que ces munitions ne sont que très rarement homologuées par la CIP . Bien que cette situation ne soit pas interdite par la règlementation, en cas d’accident, les assurances ne fonctionneront pas.

La volonté du ministère

Le ministère nous a informé au mois de juin qu’il entendait supprimer de la catégorie des munitions de collection (D§j) les munitions à étui métallique et à percussion centrale. Ainsi, toutes les munitions d’armes d’épaule à étui métallique et à percussion centrale auraient été classées en catégorie C et les munitions d’armes de poing auraient été classées en B. Cette mesure aurait englobé aussi les munitions anciennes fabriquées avant 1900, dont le fonctionnement est aléatoire et qui souvent, valent une petite fortune.
Nous avons d’abord milité contre ce classement qui remettait en cause 40 ans de vie de collectionneur. Nous avons produit un rapport largement illustré pour expliquer qu’en collectionnant les munitions anciennes, les pyrothécophiles sont aussi des conservateurs du patrimoine. Le Ministère trouvait que les forces de l’ordre ne pourraient pas distinguer les munitions anciennes des munitions modernes. Cet argument d’autorité nous a semblé de la même violence que la phrase d’Arnaud Amaury, lors du siège de Béziers en 1209 «  Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens ». Nous voulons penser qu’au XXIème siècle, les mentalités ont évolué et que l’homme moderne est capable de plus de nuance et de distinguo.

Finalement, après de longs débats, le Ministère a accepté que les munitions d’origine fabriquées avant 1900, resteraient en catégorie D. Mais les munitions à étui métallique fabriquées après 1900 seraient exclues du classement « collection ».

Comment acquérir les munitions de fabrication récentes pour armes pré/1900 ?

Pour les munitions d’armes d’épaule, la possession de la licence de tir ou d’un permis de chasse sera suffisante. Il n’y aura pas besoin de récépissé de déclaration puisque les armes de collection ne sont pas déclarables.
Pour les munitions d’armes de poing, il faudra être titulaire d’une autorisation de catégorie B pour avoir accès à toutes les munitions pour armes pré/1900. Il ne sera pas nécessaire de justifier de posséder une arme dans ce calibre. Il n’y aura pas de quota, et il ne sera pas nécessaire d’avoir une autorisation pour une arme du calibre. Le seul fait d’être autorisé pour la catégorie B suffira.
Quant aux munitions classées en C6° [2] qui normalement sont acquises sur présentation du récépissé de déclaration de l’arme dans ce calibre, celles chargées à poudre noire pourront être acquises par les titulaires de l’autorisation de catégorie B, sans présentation du récépissé.

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L’UFA a toujours défendu les « pyrothécophile, déjà en janvier 2012 avec une intervention à la Commission des lois de l’Assemblée Nationale que l’on retrouve sur YouTube. Aujourd’hui l’UFA a sauvé la collection de munition. Dommage qu’elle n’ait pas réussi à sauver les autres munitions…

A noter que début 2023, les tireurs ne demanderont plus d’autorisation par arme détenue, mais disposeront d’un pack global de 15 autorisations . Et qu’ils n’auront pas de délai pour « consommer » leur autorisation, ils pourront même ne jamais acquérir d’armes, leur autorisation leur aura servi uniquement à l’acquisition de munitions nouvellement classées en catégorie B et utilisables dans les armes pré/1900.
Bien entendu, l’arrivée du râtelier numérique va faciliter ces formalités administratives

A noter : bien évidemment ce sont uniquement les munitions et leurs éléments qui sont classés en catégorie B, les armes d’origine d’un modèle antérieur à 1900, restent classées en catégorie D.

Que deviendront les anciens stocks

Le décret sera applicable au 1er janvier 2023, ou plus tard vu le décalage de sa date de publication.. Ainsi les collectionneurs/tireurs disposeront d’un délai pour utiliser les munitions d’armes de poing afin ne pas être accusés de détention illégale de munitions de catégorie B. A moins qu’entre-temps ils demandent une autorisation de catégorie B. Cette demande sera relativement facile pour ceux qui sont déjà licenciés. Mais beaucoup de tireurs refusent absolument de demander une autorisation de catégorie B. Pour ceux qui faisaient du tir de façon épisodique hors structure FFTir, ils auront du mal à trouver un stand de tir qui les accueille, la plupart sont saturés.
Pour les munitions de catégorie C, ce sera plus facile. Effectivement, s’ils sont tireurs ou chasseurs, ils auront le droit de les posséder. Sinon la règlementation les autorise à détenir jusqu’à 500 munitions de tous les paragraphes de la catégorie C, sans licence ni permis, mais sans posséder les armes. Attention, les munitions à culot métallique et poudre noire pour armes à canon lisse seront classées en catégorie C.

A noter que la simple carte de collectionneur ne permet pas la détention de munitions actives. Pour acquérir des munitions de catégorie C, il faudra en plus être tireur ou chasseur, l’incompatibilité ayant été supprimée .

Les munitions rechargées

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A gauche, des munitions refaites récemment ; à droite des munitions d’époque. A noter que pour les munitions anciennes, les poudres et amorces ont vieilli. Dans beaucoup de cas, il y a 100 % de ratés et un risque de sécurité. La distinction physique entre les munitions neuves et les munitions anciennes apparait évidente à l’œil nu.

Rien de changé pour les munitions d’armes d’épaule, la licence et le permis de chasser permettent l’acquisition d’éléments de munitions.
Pour les munitions d’armes de poing, ce sera la même logique : il faudra une autorisation de catégorie B pour acquérir les éléments de munitions pour armes de poing pré/1900. Bien entendu, il y a de nombreuses possibilités de fabrication de munitions de calibres « obsolètes » à partir d’autres calibres, leur fourniture suivra la même règle. Notons que malgré l’utilisation d’étuis de catégorie C, les munitions destinées aux armes de poing seront classées en catégorie B une fois fabriquées. En l’absence d’autorisation de catégorie B, ce sera interdit après le 1er janvier 2023, cette date pourrait être décalée en fonction de la date de publication du décret..

Vu leur nouveau classement, il ne sera plus légalement nécessaire d’utiliser uniquement de la poudre noire pour le chargement de ces munitions. La poudre n’étant plus un critère de classement.
Rappelons que le rechargement n’est autorisé qu’uniquement dans un cadre privé, pas pour autrui. Voir article.

Pourquoi ce classement qui soulève des vagues

Avec la nouvelle doctrine à venir, un certain nombre d’armes de poing à cartouches métalliques devraient rejoindre la catégorie D (vente libre). Alors que jusqu’à présent, l’interprétation de la notion de modèle, les faisait classer en catégorie B.

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Il n’y a pas d’hésitation pour reconnaitre les boîtes d’origine. C’est bien la banalisation des copies de munitions de 1873, qui a interpellé les autorités.
Le décret à sortir va classer les munitions d’origine en catégorie D (collection) et les munitions actuelles en catégorie B.

Les représentants du ministère de l’intérieur ainsi que de la police/gendarmerie, se sont émus de voir prochainement commercialiser en vente libre, des armes de poing de la fin du XIXème à cartouches métalliques. Et de voir que les munitions correspondantes, fraîchement rechargées sont, elles aussi, disponibles sur le marché. Ils y ont trouvé quelque chose de contradictoire, il fallait choisir l’un ou l’autre.
La directive européenne a introduit depuis 1991 la notion de « motif valable » [3] pour la détention des armes : un tireur ou un chasseur ont un motif valable pour posséder des armes d’armes dans l’exercice de leur sport. Pour le Ministère, un collectionneur collectionne, s’il se met à tirer ou à chasser avec ses armes anciennes, il doit nécessairement prendre une licence ou un permis. A tel point que la règlementation interdit la possession de munitions au titulaire de la carte de collectionneur. Mais en contrepartie, elle a supprimé l’incompatibilité entre la carte de collectionneur et la licence ou permis de chasser.
Ceux qui sont durement touchés, ce sont les collectionneurs non affiliés à une fédération sportive, qui tiraient dans leurs propres installations. Ils ne pourront plus acquérir de munition ni d’éléments de munitions. Donc devront choisir entre la collection « sèche » ou accompagnée d’une pratique sportive.

Nous avons tout tenté
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Pendant plusieurs mois, nous avons déployé tous nos arguments pour tenter de sauver ce qui était possible. Nous avons réussi pour les munitions anciennes, parce qu’elles ne sont plus fonctionnelles, pour la grande majorité d’entre elles, et ne représentent pas de danger notable pour la sécurité publique. Mais il a été impossible de faire bouger les lignes pour les munitions pour armes anciennes refabriquées après 1900. Voir notre fiche argumentaire pour faire bouger le Ministère.

Indignation et colère
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Beaucoup de collectionneurs pratiquent le tir avec leur revolver 1873 en dehors de toute structure sportive, ou en tant que tireur licencié sans catégorie B. Ce sont eux qui sont les plus touchés bien évidemment.
Ils sont furieux que l’on taxe leur arme de dangereuse : un 38 Long Colt historique n’a rien à voir avec un 38 Spécial ou un 357 magnum.
Mais ils sont aussi en colère car ils avaient mis tout leur « génie créatif » pour faire « revivre » des revolvers du XIXème siècle, c’était tout ce qui en faisait l’intérêt. Pour eux, le tir n’est pas une finalité, c’est seulement l’aboutissement d’un processus assez long qui comprend donc la fonte des balles, le tournage du jeu d’outils et des étuis, et le rechargement avec la recherche d’une charge précise qui ménage l’arme. Avant de tirer la moindre cartouche, il y a des heures de recherche, de conception et d’usinage, c’est l’ensemble de ces opérations qui procure la satisfaction d’avoir recréé une munition obsolète, et de pouvoir faire vivre une arme ancienne.
Ces collectionneurs sont aussi nombreux que les pyrothécophiles ou les possesseurs de A1-11 et méritent une considération à part entière. Ces passionnés qui n’ont rien de farfelus ou d’inconscients, avaient comme plaisir cette pratique qui constituait l’un des derniers espaces de (relative) liberté dans le domaine des armes.

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Et les tireurs licenciés ?


Ils utilisent ces revolvers fin XIXème, par devoir de mémoire. Il s’agit d’armes dont l’état mécanique, la fixité du barillet, l’encrassement important et la complexité technique du rechargement ne prêtent pas à la performance comparable avec une arme actuelle. Raison pour laquelle si la discipline FFTir « arme ancienne » se tire en 13 coups et pas en 60 comme la discipline « Standard » moderne, c’est bien qu’il y a une raison.
Cependant le tireur préfère le revolver à cartouches métallique en raison de la facilité de nettoyage d’une arme poudre noire à carcasse ouverte. C’est un gain de temps non négligeable, surtout quand vous avez déjà fait des kilomètres pour rejoindre des copains au stand et qu’il vous faut encore préparer à dîner et vous coucher tôt pour vous rendre au travail le lendemain matin !

-  Ceux qui ont déjà une autorisation de catégorie B ne seront pas impactés par ce projet de surclassement puisqu’ils pourront acheter sans problème les munitions et éléments de munitions nouvellement classés en B.

-  Ceux qui sont simplement licenciés et qui viennent au stand avec leur antique revolver, devront choisir entre demander une autorisation de catégorie B ou laisser tomber le tir avec ces revolvers. S’ils arrêtent, ils vont se retrouver en infraction du fait de leur détention de munitions de catégorie B ! Il faudra qu’ils se dépêchent de les « brûler  » avant le 1er janvier 2023, date d’application du changement. Cette date pourrait être décalée en fonction de la date de publication du décret.. Eux qui n’ont jamais posé de problème de sécurité publique, fulminent contre ce changement. S’ils demandent une autorisation de catégorie B, ils franchissent une étape qu’ils n’auraient jamais imaginé « avant ». Cet énorme changement dans leur paysage n’est pas fait pour leur donner confiance pour l’avenir.

Voir notre fiche pour essayer de convaincre le ministère
Rel. L-30/10/22


[1Art R311-2 -IV D §j) du CSI version d’octobre 2022 ;

[2Catégorie C 6°, les calibres - 25-20 Winchester (6,35 x 34 R), - 32-20 Winchester (8 x 33 Winchester) ou 32-20-115, - 38-40 Remington (10.1 x 33 Winchester), - 44-40 Winchester ou 44-40-200, - 44 Remington magnum et 45 Colt,

[3Voir directive, chapitre 2 Article 6 - 1 : « Sans préjudice de l’article 3, les États membres ne permettent l’acquisition et la détention d’armes à feu que par des personnes qui ont un motif valable et qui... »