Triste anecdote

Un laguiole suspecté d’être une arme.

Une procédure pour rien !

samedi 29 mai 2021, par Charles LE GOFFIC, Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

Une préfecture de la France profonde, c’est-à-dire protégée de la criminalité urbaine, mais propice aux petites bassesses entre voisins, s’inquiète de ce qu’un restaurateur local propose à la vente à ses hôtes des couteaux (style Laguiole).

Alors que ce restaurateur utilise également ces couteaux pour son service à table, la préfecture se demande s’il ne s’agirait pas de poignards ou couteaux-poignards. Et le restaurateur ne possède pas d’agrément d’armurier ni d’autorisation de commerce d’armes.

L’expert consulté articule sa réponse en deux points distincts :

-  D’une part, il est expliqué que seuls relèvent de l’Article R.311-2 du CSI - et sont donc effectivement considérés comme des armes - les poignards et couteaux- poignards répondant à cinq critères cumulés : « Lame solidaire de la poignée ou équipée d’un système permettant de la rendre solidaire du manche, à double tranchant sur toute la longueur ou tout au moins à la pointe, d’une longueur supérieure à 15 cm, d’une épaisseur au moins égale à 4 mm, à poignée comportant une garde. »  [1]

-  D’autre part, pour ne pas se départir de sa neutralité comme de son obligation de réserve, l’expert croit néanmoins bon d’ajouter, comme pour souligner l’incongruité par trop évidente de la démarche préfectorale, que les objets qui lui ont été soumis (dont la mise en accusation ne résiste pas au seul bon sens) ne sont à l’évidence que des couteaux de table, et que leur vente ne nécessite pas plus d’agrément ni d’autorisation d’armurier que les quincailleries, coutelleries, bazars de toutes sortes, commerces d’art de la table ou de cadeaux, chaînes de bricolage ou de jardinage et même débits de tabac (plus gros revendeurs de couteaux suisses de l’Hexagone) !

Au-delà du simple caractère anecdotique et risible de cette histoire, il peut être intéressant (et révélateur) de se poser la question suivante : comment cette affaire a-t-elle pu voir le jour et se retrouver instruite et analysée à travers plusieurs services officiels successifs, au risque de voir le malheureux restaurateur déjà mis à mal par la crise sanitaire se retrouver traîné en justice ?
Gendarme trop zélé venu en service pour un motif de routine ou en privé pour un déjeuner en famille ? Voisin aigri ou parent en conflit ayant vu le moyen de nuire ? Quel qu’en soit l’auteur, la dénonciation calomnieuse laisse hélas peu de doutes...

Cette mésaventure rappelle le préambule du film de Jean-Pierre Melville "L’Armée des Ombres" tirée du roman éponyme de Kessel. Des voisins de baraquement dans un camp en 1942 y évoquent les raisons multiples de leur internement. L’un deux, un pharmacien, s’insurge de ce qu’il a été dénoncé pour détention d’un "obus Mahler", en fait un inoffensif appareil calorimétrique.

Moralité : quand il s’agit d’armes, fut-ce d’un simple couteau de poche, soyons vigilants, rigoureux et observons rigoureusement la loi, c’est encore la meilleure façon de ne jamais pouvoir prêter le flanc aux calomnies.
Mais rappelons-nous toujours, par prudence, la réplique-culte des "Tontons Flingueurs" : "Les c..., ça ose tout : c’est même à ça qu’on les reconnaît !"

Lire aussi : - Comment classer une arme blanche ? - Un couteau est-il une arme blanche ?

Témoignage d’un ancien policier

« Comme policier, lorsqu’un collègue me ramenait un opinel avec une procédure pour port d’arme prohibée, j’appelais le parquet et c’était classé " vertical" poubelle, mais pour la hiérarchie ça faisait un "élucidé" et donc affaire résolue ! Nos camarades gendarmes à côté faisaient de même et cela faisait une affaire de plus pour justifier la non fermeture de la gendarmerie surtout située en zone "police". »
Notons que les jeunes délinquants ont une préférence pour le cutter, tournevis cruciforme ou couteau à greffer (recourbé à l’extrémité) comme cela ils sont dans la "case " outillage !

Rel. L- 03/06/21


[1Définition donnée par la circulaire NOR : CPAD1817297C du 26 juin 2018.. Auparavant, il y avait déjà eu cette même définition par : Texte n° 90-50 DA du 10 avril 1990 Bureau B/3, remplacée par le texte n° DA 98-039 du 26 mars 1998. Cette définition est donc une constante. Son but est de préciser les matériels, armes et/ou munitions de toutes catégories qui doivent faire l’objet d’une déclaration en douanes lors d’un flux douanier.