Cinéma et BD : l’oeil du connaisseur
Histoire pour les nuls ou Histoire par les nuls ?
dimanche 20 août 2017, par
Si tous s’accordent à déplorer la dégradation constante des programmes télévisuels, les chaînes satellites offrent à leurs abonnés un choix de programme élargi et thématiques. Pour les passionnés d’histoire, la chaîne « planète » proposent plusieurs programmes consacrés à cette discipline. Si certaines émissions sont de très haut niveau, il faut bien reconnaître qu’en général, le pire côtoie régulièrement le meilleur.
Ainsi regardions-nous voici quelques jours une émission intitulée « Pierre Bellemare raconte la seconde guerre mondiale », relatant l’écrasement de l’armée française en 1940.
Le thème était passionnant car beaucoup de nos compatriotes se sont demandés à l’époque et se demandent toujours aujourd’hui, comment nous avons pu en arriver à une telle catastrophe militaire, alors que nous possédions l’une des premières armées du monde.
- Dunkerque le 24 mai 1940.
Dans cette émission, Pierre Bellemare n’intervient que brièvement en se contentant de présenter avec son talent habituel, servi par son timbre de voix exceptionnel, les documents cinématographiques, qui constituent l’essentiel de l’émission. Il rapporte aussi d’intéressantes anecdotes personnelles de cette guerre qu’il a vécue alors qu’il était encore enfant. Mais ce présentateur exceptionnel est trahi par la qualité des documents filmés que les réalisateurs de son émission ont dû acheter au rabais à une quelconque officine anglo-saxonne et faire traduire par des interprètes de rencontre aux compétences plus que douteuses. Le spectateur un tant soit peu attentif remarque tout d’abord que les mêmes séquences repassent à répétition au cours de la même émission . Quand le spectateur a vu cinq fois le même canon tirer, le même char exploser ou le même Stuka partir en piqué, il est inévitable qu’il commence à se demander si l’on ne se moque pas un peu de lui !
Ce sentiment se renforce, s’il écoute avec un tant soit peu de sens critique le commentaire, traduit de l’Anglais et qui comporte de grossières fautes de traduction. Ainsi entend-on parler de troupes anglaises équipées de chars « croiseurs ». L’amateur de véhicules militaires rectifiera de lui-même en comprenant qu’il s’agissait de chars « Crusader ». La traduction de cette désignation de modèle était inutile et si l’on tenait à la faire, il fallait encore la faire de façon exacte puisque « Crusader » doit être compris au sens de « croisé » et non de « croiseur ». Dans une autre émission, on évoque des troupes souffrant de la soif, d’autant plus que « leurs cantines étaient vides ». Si dans le cas du Crusader, on peut admettre que le traducteur, incompétent dans le domaine militaire (mais dans ce cas, pourquoi n’en avoir pas choisi un autre !), se soit fourvoyé mais traduire le nom anglais « Canteen » (Gourde) par cantine, c’est affligeant !
Outre la répétition des séquences et les erreurs de traduction, l’amateur de militaria remarque vite qu’au milieu des bandes filmées en 1940, s’intercalent des passages bien postérieurs qui ne peuvent absolument pas dater de 1940, puisqu’y apparaissent des fantassins britanniques armés de Sten (mise en service en 1941) ou coiffés de casques modèle 1943. S’agit-il de simple je m’en-foutisme ou d’un manque de respect flagrant vis à vis des téléspectateurs ?
Certain estimeront qu’il ne s’agit là que de détails tout à fait annexes et que l’évocation doit primer sur le strict respect de la date des documents utilisés et qu’après-tout, le réalisateur n’est pas obligé d’être un connaisseur en matériel militaire. Certes, mais le vrai professionnalisme comporte une bonne dose d’humilité, qui conduit à admettre qu’on est pas omniscient et à se faire conseiller par des gens qui connaissent bien certains domaines. Il y a dans tous les pays suffisamment d’associations de collectionneurs pour qu’un réalisateur puisse se faire recommander l’un ou plusieurs d’entre eux qui seront très certainement enchantés de visionner les bandes qu’il souhaite passer et de lui signaler les incohérences et les anachronismes à éviter. C’est en se faisant conseiller par des gens compétents que certains réalisateurs sont parvenus à faire des films d’un réalisme parfait, sans pour autant céder sur l’émotion ou l’évocation, mais ça demande un vrai talent !
La 317ème section
- L’acteur Jude Law jouant le rôle du célebre sniper soviétique
Vassili Zaïtzev dans Stalingrad.
L’un des meilleurs films de guerre jamais réalisé reste toujours à nos yeux « La 317ème section » de Pierre Schoendoerffer. Mais on nous objectera que Schoendoerffer navait guère de mérite à réussir son film, puisqu’il était lui-même un ancien combattant d’Indochine et qu’il pouvait spontanément coller à la réalité. Pourtant Steven Spielberg (réalisateur de « Il faut sauver le soldat Ryan » et de « Band of Brothers »), Jean Jacques Annaud, (qui nous a donné l’extraordinaire « Stalingrad ») ou « Sam Peckinpah » (avec son remarquable « Croix de Fer ») qui n’étaient pas des anciens combattants, ont tous su s’entourer de conseillers avisés : ce souci d’exactitude, joint à leur immense talent nous ont offert des films exceptionnels qui défieront le temps. Mais les monteurs de bandes documentaires, qui n’ont sans doute ni le talent ni la culture d’un Spielberg ou d’un Annaud pourraient au moins avoir la modestie et la rigueur de bien s’entourer pour éviter de commettre de grossières erreurs !