Gazette des armes, décembre 2003 - n° 349

Les douaniers ont les détenteurs d’armes dans le collimateur

lundi 1er décembre 2003, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

De nuit comme de jour, la douane peut demander à tout moment la justification de l’origine des armes que l’on détient.
De nombreux tireurs, chasseurs et collectionneurs en ont fait récemment les frais. Un important " trafic d’armes " en provenance de Suisse et du Luxembourg, aurait déclenché l’intérêt des douaniers pour les armes !

- Voir application article 215 et 215 bis.

Le principe est simple : toute marchandise produite ou importée dans un pays doit payer de la TVA et les droits de douane. Le sport du consommateur est d’en payer le moins possible, le jeu de la douane est de prendre ceux qui jouent à ce sport !
Ce petit jeu est celui du pot de fer contre le pot de terre. Celui qui "se fait prendre" est bon pour des amendes colossales ! L’autre mission de la douane est de faire respecter la réglementation des armes et elle participe à la sécurité intérieure.

Quels sont les armes concernées ?

Les textes sont clairs, [1] ce sont toutes les armes qui sont reprises aux chapitres 93 du tarif des douanes. C’est à dire toutes les armes à feu, à air comprimé ou gaz ou à billes plastique, armes blanches dès lors qu’elles ont été fabriquées depuis moins de 100 ans. En effet, les objets de plus de cent ans relèvent d’un autre chapitre du tarif des douanes.
Il y a plusieurs exceptions de taille :

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Les armes de chasse personnelles échapent à la justification d’origine


- Les armes de chasse
Sont exclus les fusils et carabines de chasse de la 5e catégorie, ainsi que les projectiles et munitions de chasse pour lesquels les personnes visées à l’article 215 du code des douanes justifient qu’ils sont exclusivement affectés à leur usage personnel.
Il faut opposer l’usage personnel à l’usage professionnel ou le commerce. Donc un détenteur d’armes de la 5ème catégorie, du moment qu’il n’en fait pas le commerce, n’a pas à justifier la provenance de ses armes. Si par contre, il a l’habitude (même en tant que particulier) d’acheter ou de vendre ce type d’arme, il doit obligatoirement garder la trace de l’origine de son arme. Dans une réponse à un parlementaire, le ministre du budget de l’époque avait précisé : " de l’usage individuel fait par les détenteurs des marchandises en question dès l’instant que ces marchandises ne sont pas destinées à la vente... La preuve peut être établie par tous les moyens du droit commun (preuve écrite, preuve testimoniale, etc...)" [2]

Certains tribunaux ont appliqué de façon restrictive l’exception contenue dans l’arrêté d’application. Ils décidaient que deux armes suffisaient à un chasseur et ne reconnaissaient pas que le surplus "était affecté à l’usage personnel". Alors à quoi était-il affecté ? Mais ces jugements sont rares et ne devraient pas être suivis par de plus hautes juridictions.

- Les armes neutralisées
Elles sont classées par le tarif des douanes dans le chapitre 83-06-29 : ouvrages divers en métaux communs ! Elles ne sont plus classées comme armes, donc pas concernées par l’obligation de justification d’origine.
Il arrive parfois que des détenteurs soient inquiétés en raison de l’absence du certificat de neutralisation. Précisons une chose : pour être légale, l’arme doit être neutralisée par le Banc d’épreuve de St Etienne selon des procédés techniques reconnus. Le poinçon AN surmonté d’une couronne est apposé sur les différentes parties de l’arme qui ont subi une neutralisation. Il est délivré une attestation de neutralisation. L’absence d’attestation n’est pas dommageable, les poinçons étant une preuve suffisante. [3]

- Les armes anciennes
Les antiquités sont classées dans le chapitre 97-06 - Objets d’antiquité ayant plus de 100 ans d’âge - et à ce titre échappent à l’obligation de justification. Cette disposition est évolutive avec le temps.

- Les armes blanches
Sont exclues systématiquement les armes blanches de plus de 100 ans d’âge. Sont exclues tout naturellement les armes qui ne sont pas comprises comme arme blanches au sens de la réglementation. Rappelons nous que les armes blanches se limites à la seule énumération suivante : les baïonnettes, sabres-baïonnettes, poignards, couteaux-poignards, matraques, casse-tête, cannes à épées, [4]. Même si cela semble bizarre, une hallebarde, un sabre, une dague, une épée, ne sont pas considérés comme des armes blanches.

Les débordements

Nos associations sont assaillies de plaintes de détenteurs d’armes qui ont été victimes du zèle des douaniers. Depuis la suppression des frontières, les agents des douanes ont été réaffectés vers l’intérieur et participent activement à la chasse contre le trafic des armes. Si cette chasse est nécessitée par les trafics à grande échelle, notamment ceux en provenance d’Europe de l’Est, de braves détenteurs d’armes subissent une répression qui est disproportionnée au délit (s’il y en a un) quand ce n’est pas totalement à tort : les armes pour lesquelles on leur demande des justifications, ne sont pas concernées.
L’attitude, dans ces cas là, est souvent la même : ils payent une amende par peur de l’uniforme.

Il est vrai qu’il est certainement plus facile de s’attaquer au petit collectionneur d’armes pacifique de nature qu’au grand banditisme qui trafique des armes destinées à faire des casses. Cela gonfle plus facilement les statistiques.

Victimes du zèle

Souvent, à la sortie des bourses aux armes les douaniers attendent les voitures pour des fouilles en règle. Citons le cas d’un collectionneur qui transportait un sabre et une baïonnette Gras 1874. En tant qu’antiquités, dans les deux cas, ses armes n’étaient pas soumises à l’application des textes. Résultat : 200 € d’amende transactionnelle et confiscation des objets. Une réclamation est en cours.
Dans une bourse aux armes renommée, un collectionneur s’est fait saisir 14 revolvers de la 8ème catégorie et une somme d’argent. Il lui était reproché l’absence de justificatif. On lui proposait une amende "transactionnelle" de 6000 € . Lorsqu’il a écrit pour affirmer que ses armes n’étaient pas concernées par l’article 215, la douane l’a appelé pour lui affirmer le contraire. Devant son insistance, la douane a fini par admettre mais a souhaité faire vérifier le classement en envoyant les revolvers à l’ETBS de Bourges aux fins d’expertise. Mais l’administration n’étant pas pressée, 9 mois après, il n’a toujours aucune nouvelle malgré ses multiples réclamations.
Il y a ces tireurs qui, de bonne foi, allaient acheter leurs cartouches au Luxembourg, c’était moins cher. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que pour réaliser cette opération, ils devaient demander un permis de transfert de munition. La croyance populaire est que toutes les marchandises sont en libre circulation depuis la déréglementation aux frontières internes à l’Union européenne. Mais les armes en sont exclues.

Un musée privé fermé

Le summum a été atteint avec le Musée des Trois Guerres à Annecy. Le propriétaire du musée avait en cours de neutralisation 2400 armes au Banc d’épreuve de St-Etienne. Douane et Police, inquiètes par une telle quantité, ont "déboulé" chez lui pour lui demander des justificatifs d’achats. Les papiers fournis étaient " non probants " du fait qu’ils comportaient des lignes globales avec des quantités qui ne reprenaient pas les numéros. Mais le hic, est que ces documents étaient tout simplement des bordereaux de vente des domaines, sans autres détails que les quantités.
Petit détail choquant : ces armes en cours de neutralisation étaient donc destinées à devenir " des ouvrages divers en métaux communs " du chapitre 83 du tarif des douanes, donc non soumis à l’obligation de présentation de document d’origine. Faut-il considérer qu’à l’instant du contrôle n’étant pas neutralisées, elles relevaient du chapitre des armes à feu et étaient soumises à l’obligation ?

Pourtant, depuis 1980, l’administration, avec beaucoup de pédagogie, poussent les détenteurs d’armes des 4 premières catégories à les faire neutraliser en leur promettant " l’impunité " pour l’action passée de détention. Cela a permis de régulariser un nombre très important d’armes à feu " en balades dans les campagnes ". Cette action de la douane va-t-elle faire naître une méfiance ? Si c’était le cas, un détenteur d’une arme illégale risque de préférer la garder discrètement, même s’il y a un risque, plutôt que de se découvrir en la faisant neutraliser.

- La règlementation des musées :
"Les armes, les éléments d’armes et les munitions de la 1ère et de la 4e catégorie présentées au public dans des musées autres que les musées de l’Etat et de ses établissements publics, sont soumis aux prescriptions ci-après :

  • Les locaux ouverts au public et les locaux de stockage des collections de la réserve sont munis de systèmes de fermeture de sûreté ...
  • Les armes exposées, ou stockées dans la réserve, sont rendues inutilisables par l’enlèvement d’une des pièces de sécurité mentionnées au a de l’article 49 ci-dessus. Les armes et les éléments d’armes exposés en permanence sont, en outre, enchaînés ou équipés d’un système d’accrochage de sécurité s’opposant à leur enlèvement."

Au lieu de retirer une pièce, ces armes étaient neutralisées, quoi de mieux ? Barricadées dans leur " cage " de verre, elles étaient encore plus en sécurité que si elles avaient été enchaînées.

Et puis, ces vieux trucs tout rouillés ne valent rien en regard des "kalachnikov" rutilantes qui pénètrent en masse sur l’hexagone.
Nous espérons que le bon sens l’emportera et que le musée pourra rouvrir ses portes.

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Il ne faut pas confondre traficant et collectionneur. Un monde les sépares !

Le déminage est même venu pour faire sauter des "explosifs" neutralisés (donc sans substance explosive), qui agrémentaient les vitrines en témoignant de leur époque. En présence de toutes les autorités de l’état, le feu d’artifice n’a pas eu lieu. Juste un bruit de pétard mouillé.
Quel dommage pour des objets de musée ! Mais au fait, souvenez-vous de la réaction de l’ONU, lors des pillages des musées irakiens. Le droit international considère la destruction d’objets de musée au rang de crime contre l’humanité !

Au terme de l’article 215 du code des douanes, le propriétaire d’une arme de la dernière guerre en calibre d’origine doit justifier de sa provenance. C’est bien difficile, les envahisseurs et les libérateurs ayant omis d’accomplir les formalités d’importations.
En fait, c’est un prétexte fiscal pour faire appliquer la réglementation des armes.
Par contre, si l’arme est neutralisée, son propriétaire n’a pas à remplir ces obligations.

Une victime qui disparaît :

Il y a quelque 400 armes de poing achetées par des tireurs français en Suisse et importées frauduleusement. Comment ?
Pour que les Suisses délivrent une autorisation il suffisait de leur montrer une autorisation française déjà remplie pour une autre arme. Pour eux, c’était une preuve suffisante que l’acheteur était honorable et digne d’acheter une arme.
Bien entendu, c’était illégal puisque les Français en question n’avaient pas demandé d’autorisation pour une nouvelle arme, dépassant parfois leur quota. Ces armes ont souvent été revendues.

Les Suisses ont fini par donner le fichier à la police française et la toute nouvelle section du ministère de l’Intérieur qui réprime le trafic d’armes effectue depuis des mois contrôle sur contrôle.
Souvent, ce sont des tireurs qui avaient rêvé que leurs "turpitudes" passeraient inaperçues.
Mais, début octobre, un tireur qui avait une arme en provenance de Suisse s’est donné la mort avec un fusil de chasse. Cela devient évidemment un événement disproportionné par rapport au délit.

Pourquoi un tel acharnement ?

On aurait pu croire que les agents verbalisateurs étaient avides du pourcentage qu’ils récupèrent sur les affaires traitées. Mais ce revenu est minime. Cela pourrait être pour un agent de l’ordre de 750 € par an. Et pour arriver à ce chiffre, il faudrait presque faire une affaire tous les jours.
En fait, c’est la pression de la hiérarchie qui, en cascade, demande au personnel des résultats. Il faut des statistiques en hausse. Donc pour satisfaire les graphiques, la tendance est d’aller à la facilité.

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L’europe a institué la "libre circulation des personnes et des biens". Si cet ancien poste de douane (col de Roche Doubs) ne fonctionne plus depuis longtemps, la la douane verbalise toujours les armes.

Point de vue

Il est vrai que s’écarter de la réglementation des armes, ce n’est pas bien du tout ! C’est punissable par la loi. Mais, dans certain cas, ne déploie-on pas trop de moyen pour pourchasser d’inoffensifs détenteurs d’armes : chasseurs-tireurs-collectionneurs et qui sont parfaitement connus. Alors que le grand banditisme plus discret, au mépris des frontières, importe des quantités hallucinantes d’armes de guerre actuelles que l’on retrouvent dans les braquages, les fonctionnaires chargés de surveiller et de poursuivre ces gros trafics sont occupés à chercher des poux dans la tête de gens qui ne cherchent à nuire à personne, même si d’aventure ils ont omis un papier. L’obligation de résultat fait que l’on se trompe de cible en versant dans la facilité pour alimenter les statistiques.
Ce sont les détenteurs de kalashnikov qui menacent l’ordre public, pas ceux des Lebel de nos grands-pères...

Justifier une origine

Prouver la provenance légale d’une arme, est parfois difficile lorsqu’on la possède depuis des lustres. L’article 215 énumère un certain nombre de documents et cite notamment " toutes autres justifications d’origine ". Ce qui peut être retenu largement : une autorisation de détention, une déclaration à la préfecture, une facture de réparation. Si ces documents ne prouvent pas à proprement parler une origine, ils dénotent une détention légale et une volonté d’être en règle.

Si vous êtes inquiété à tort

L’expérience montre que dans la pratique, devant l’uniforme bleu et bandes rouges sur le pantalon, vous perdez vos moyens. Vous acceptez de payer une amende, même si son montant est diminuée selon que l’administration juge que vous avez la possibilité de payer (transaction). Vous avez tort ! Si vous vous devez, en tant que citoyen, de respecter la réglementation, le douanier verbalisateur doit à fortiori la respecter. Dans le cas d’abus, vous avez le devoir de réclamer auprès du directeur régional des douanes.
Pour vous citer une anecdote : il y a 25 ans dans le sud est, les agents des douanes, poussés par leur hiérarchie, exécutaient des visites domiciliaires (perquisitions) dès 6 h du matin. Il y eut tellement d’abus, et de réclamation auprès des politiques, que le code des douanes a changé : il a fallut ensuite l’accord du président du TGI ou un flagrant délit pour que les agents des douanes puissent opérer.
Comme quoi, faire respecter les lois à ceux qui sont charger de les faire appliquer, peut aussi faire changer la loi. C’est une affaire de bon sens !


[1Article 215 du Code des Douanes
- Ceux qui détiennent ou transportent des marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité ou la moralité publiques... spécialement désignées par arrêtés du ministre de l’Economie et des Finances doivent, à première réquisition des agents des douanes, produire soit des quittances attestant que ces marchandises ont été régulièrement importées dans le territoire douanier de la Communauté européenne, soit des factures d’achat, bordereaux de fabrication ou toutes autres justifications d’origine émanant de personnes ou sociétés régulièrement établies à l’intérieur du territoire douanier de la Communauté européenne.
- Ceux qui ont détenu, transporté, vendu, cédé ou échangé lesdites marchandises et ceux qui ont établi les justifications d’origine sont également tenus de présenter les documents visés au 1 ci-dessus à toute réquisition des agents des douanes formulée dans un délai de trois ans, soit à partir du moment où les marchandises ont cessé d’être entre leurs mains, soit à partir de la délivrance des justifications d’origine....

Arrêté 11 décembre 2001 (JO 24 janvier 2002.)
Arrêté portant application de l’article 215 du code des douanes
- Marchandises dangereuses pour la sécurité publique.
Les armes et les munitions reprises au chapitre 93 du tarif des douanes, à l’exclusion des fusils et carabines de chasse non automatique de la 5e catégorie, ainsi que les projectiles et munitions de chasse pour lesquels les personnes visées à l’article 215 du code des douanes justifient qu’ils sont exclusivement affectés à leur usage personnel.
Les poudres et substances explosives visées par le décret n° 71-753 du 10 septembre 1971 pris pour l’application de l’article 1er de la loi n° 70-575 du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives.

[2Réponse à la question écrite du 21 mars 1980 J.O. Débats AN du 16 juin 1980 N°29431.

[3Art 14 de l’arrêté du 7 sept 1995.

[4également les cannes plombées et ferrées, sauf celles qui ne sont ferrées qu’à un bout, arbalètes, fléaux japonais, étoiles de jets, coups de poing américains, lance-pierres de compétition, projecteurs hypodermiques.