Gazette des armes n°453 mai 2013

Quel avenir pour les fusils de guerre rechambrés ou neutralisés ?

« Dura lex sed lex ! » (Loi dure, mais c’est la loi)

dimanche 28 avril 2013, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

La nouvelle loi ne fait pas que des heureux, rien n’est parfait dans ce bas monde. Toute modification crée sur le moment un déséquilibre, ce ce que l’on constate pour les armes à verrou neutralisées ou recanonnées

Le décret en préparation devrait reclasser en catégorie B les armes à pompe à canon lisse.
Nous avions espéré mais....

L’adoption de la loi du 6 mars 2012, « relative à l’établissement d’un contrôle des armes modernes simplifié et préventif », a été reçue avec beaucoup de satisfaction par la majorité des amateurs d’armes français : elle étend le domaine des armes de collection, supprime la référence au calibre. Pour les tireurs elle supprime le distinguo entre les percussions annulaires et centrales dans le quota des autorisations. Reste le problème des chargeurs qui sont classés dans la catégorie de l’arme et limités en quantité et en nombre de coups.

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MAS 36 recanonné en 7x08.
Il est vrai qu’il y en a eu des quantités considérables depuis 30 ans, mais les stocks restant ayant été détruits, neutralisés ou vendus à l’étranger l’arme recanonnée en 5e catégorie gardera toujours une valeur vis à vis des tireurs.
Après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, il est probable que ces dernierspourront, s’ils le souhaient, recanonner les fusils transformés avec des canons de surplus en calibre dorigine.

Mais elle engendre aussi des inquiétudes chez certains autres amateurs. Du fait que l’on ne connaisse pas encore le contenu des décrets d’applications, ils craignent l’adoption de dispositions constituant un recul par rapport à la situation antérieure.

Avec les retards inévitables lors d’un changement de majorité, les représentants des utilisateurs d’armes ont découvert les nouveaux interlocuteurs sans mauvaises intentions. Il y a maintenant bon espoir que la situation évolue rapidement dans le bon sens. Chacun en semble maintenant bien convaincu.
Pourtant, nos correspondants nous rapportent certains « dégâts collatéraux » que le nouveau texte fait redouter à certains membres du monde discret des amateurs d’armes.

Grincements de dents

Les détenteurs d’armes neutralisées sont inquiets. Les fusils militaires à verrou vont passer de la 1er catégorie soumise à autorisation à la catégorie C soumise à déclaration et peut-être pour certains à la catégorie D totalement libre. [1]

Les fusils militaires neutralisés vont subir une forte décote alors que les propriétaires d’armes transformées en 5e catégorie se lamentent, craignant que la suppression du classement par calibre ne dévalue considérablement les armes transformées.

Il est vrai que les fusils à répétition neutralisés ont aujourd’hui bien du mal à trouver preneur. Le marché redoute que ces fusils ne vaillent plus rien le jour où l’on pourra acquérir librement les mêmes modèles non neutralisés. La loi sera applicable dès le 7 septembre 2013.

Pourtant, nous conseillons à ces collectionneurs inquiets de ne pas se débarrasser de leurs armes à n’importe quel prix. Il est probable que le marché se restreindra pendant un certain temps. Mais après le pic d’achats sur les fusils militaires à verrou dans leur état d’origine dans les mois suivant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales, le marché se stabilisera de nouveau sous l’effet des importations et de la réapparition au grand jour de pièces jusqu’ici détenues clandestinement. Après la tempête, le calme revient toujours.

Dans le marché des armes neutralisées, après la première fièvre passée, il est probable qu’il y aura de nouveau des amateurs pour des armes neutralisées. Il y a diverses catégories d’acheteurs potentiels :
- les participants à des reconstitutions historiques qui ne souhaiteront pas supporter les contraintes liées au transport d’une arme en état de tir,
- les grands-pères et pères de famille voulant jouir de la vue d’un râtelier bien garni sans avoir à enfermer leurs armes hors de portée des mains intéressées des jeunes enfants,
- les organisateurs d‘expositions et propriétaires de musées uniquement intéressés par l’aspect visuel des armes et préférant acheter un peu moins cher un fusil neutralisé qu’ils ne devraient payer pour acquérir un modèle identique en état de tir.

Ou tout simplement celui qui ne sera ni titulaire du permis de chasser, d’une licence de tir et qui ne voudra pas de la carte du collectionneur.

Nous encourageons donc le collectionneur qui détient des fusils à verrou neutralisés à ne pas les brader. Il a intérêt à attendre que le marché se calme et qu’une côte des armes neutralisées s’établisse. Si ces pièces ne se vendent plus aussi cher qu’il y a quelques années, au moins leurs propriétaires auront-ils vécu dans la sécurité. Songez à tous ceux qui ayant couru le risque de conserver des fusils « de guerre » en état d’origine, ont été saisis et condamnés à des peines parfois disproportionnées avec la gravité de la faute commise avec les dégâts collatéraux dans leur travail ou leur ménage !

Les fusils recanonnés

Certains tireurs sportifs détenteurs de fusils militaires qui ont été transformés par recanonnage ou rechambrage en armes de cinquième catégorie sont eux aussi un peu amers et fébriles.

Ayant assumé des frais parfois importants pour faire transformer leurs armes afin d’être en règle avec la loi, ils craignent aujourd’hui de voir leurs fusils dévalués par rapport à des armes de même type en état d’origine. Il est exact que jusqu’ici, lorsqu’ils souhaitaient revendre leurs armes, ces dernières pouvaient intéresser tout autant les tireurs que les collectionneurs. Il est probable qu’à l’avenir, seuls les fusils transformés dans des calibres très proches de celui d’origine (.30-284 pour les 7,5 mm suisses et français, 8x60 mm pour les Mauser en 8x57 mm etc.) seront susceptibles de continuer à intéresser les collectionneurs.

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Les fusils à pompe lisse classés en catégorie B !
Dans tous nous écrit, nous avions bien fait attention de ne pas faire d’effet d’annonce. Les décrets en préparation n’étant jamais définitifs tant qu’ils ne sont pas publiés. Mais l’info paraissait tellement sûr, que nous avions annoncé le classement des fusils à pompe à canon lisse en catégorie C. Le décret qui devrait être soumis au Conseil d’Etat les classe en catégorie B. Déception !
Heureusement qu’il restera aux collectionneurs les armes à pompe d’un modèle antérieur 1900.

Par contre les fusils ayant bénéficié d’une transformation de qualité continueront à trouver des acquéreurs parmi les tireurs sportifs aux armes règlementaires, qui préféreront par exemple un Springfield 1903 équipé d’un canon neuf en calibre civil d’excellente marque au même modèle encore doté de son canon d’époque, mais altéré par un usage intensif et l’emploi d’amorçages corrosifs.
En revanche, ceux qui auront acheté à une époque déjà lointaine des fusils militaires mal rechambrés ou chambrés pour des calibres mal adaptés (US 17 en 300 Winchester Magnum ou Mosin-Nagant en .308 Norma magnum) auront certainement bien du mal à les revendre.

On peut aussi penser qu’avec la nouvelle loi, va apparaître tout un artisanat de la réhabilitation des armes abusivement transformées et que des canons de surplus vont aussi faire leur apparition sur le marché. Certains de ces fusils pourront alors retrouver une nouvelle jeunesse.

La première victime du revolver Nagant…

En 2007, la Belgique a classé en vente libre beaucoup d’armes d’un modèle antérieur à 1900. Les collectionneurs belges ont également bénéficié d’un généreux élargissement de la liste des armes dites « de panoplie » (armes de collection en vente libre) En adoptant cette nouvelle législation nos amis belges ont toutefois négligé de prévoir le cas des armes « à dangerosité avérée » ce qui a eu pour effet de provoquer un afflux de revolvers russes Nagant modèle 1895, dont il restait des centaines de milliers d’exemplaires dans les arsenaux d’Europe de l’Est.

Certes, ce vénérable Nagant n’a rien d’une arme de destruction massive et « sa vétusté est avérée » sur bien des points (en particulier à cause de la rareté de sa munition et de son barillet fixe qui contraint son utilisateur à le recharger cartouche par cartouche). Le seul reproche que puissent lui faire les autorités c’est d’avoir été fabriqué en trop grandes quantités et d’être vendu librement pour environ 200 € pièce.

Alors que les Nagant Norvégiens suédois et belges ne posent aucun problème de sécurité, car leur nombre est relativement limité et leur prix élevé, le Nagant russe, vendu librement en Belgique pour une somme dérisoire inquiète beaucoup les autorités qui craignent de le voir employé par des délinquants.
Ajoutons à cela que certains marchands ont eu la très mauvaise idée de refrabriquer des munitions modernes pour ces revolvers. Ainsi, ceux qui voulaient reclasser ces armes en armes de défense ont eu des arguments. Il n’existe pas de statistique officielle pour dire si des Nagant modèle 1895 russes ont effectivement servi à des actes crapuleux. Mais ce qui est certain c’est que le revolver Nagant aura au moins fait une victime : le statut extrêmement libéral des armes de panoplie adopté en 2007 par la Belgique !

A noter que les importations en Belgique ont donné lieu à un trafic farfelu : beaucoup de ces armes de poing sont reparties en…..Russie, où elles seraient interdites, sauf autorisation improbable. Mais le marché de l’auto-défense (et du banditisme mafieux) est en forte demande.
Ces revolvers sont de vraies "crasses", modernes et très mal finies, leur production (usine de Toula ?) est vraiment bâclée. Alors que l’équivalent d’époque pré-14/18 fabriqué à Liège qui est d’une qualité irréprochable par comparaison.

Le chant des sirènes

A la suite de l’entrée en vigueur du décret royal de 2007, il y a donc énormément d’armes « de panoplie » en circulation libre en Belgique. Dans la perspective d’un durcissement de la législation, certains marchands belges cherchent à se débarrasser de leurs stocks pendant la période transitoire, en les proposant aux collectionneurs français sur des sites d’annonces Internet basés en Belgique et de langue française. Certains de nos compatriotes sont bien entendu tentés de céder au chant de ces sirènes en achetant des armes qui, ayant de fortes chances d’être libres chez nous dans quelques mois, verront leur prix grimper en flèche.

Le seul problème est que la loi française de 2012 ne sera applicable qu’à partir du 7 septembre 2013. Les amateurs qui achètent aujourd’hui un revolver suisse modèle 1882 ou un Webley Mk IV pratiquent une importation illégale d’armes de 4ème catégorie. De plus nous ne connaissons pas encore les armes qui seront exclues des armes de collections pour « dangerosité avérée ». Il est légitime de penser que les services de police, confrontés à un banditisme lourdement armé ne vont pas prendre le temps de s’investir dans la répression de ce genre de trafic, tant que celui-ci restera relativement limité et artisanal et surtout, tant que les armes ne seront pas utilisées dans des affaires de droit commun. Ce qui est certain c’est que les douanes françaises dont la mission est d’empêcher les importations illégales sur le territoire français ne vont pas rester longtemps indifférentes à ce commerce.

Rappelons que les douanes disposent de moyens d’investigation puissants et que les douaniers (qui sont aussi parfois collectionneurs) sont friands des annonces du net !

La nouvelle législation belge sur les armes venant juste d’entrer en vigueur, les vendeurs ne seront sans doute pas inquiétés dans l’immédiat. Il en va tout autrement des acheteurs français qui risquent fort de voir un matin les douaniers s’inviter au petit déjeuner familial avant d‘inventorier tous leurs trésors cachés !

Nous ne pouvons donc que recommander la plus grande prudence à nos lecteurs vis-à-vis de ce genre de transaction.

Il faut enfin ajouter que certaines de ces armes, bien que d’un modèle antérieur à 1900 seront peut-être considérées comme « à dangerosité avérée » et ne seront au bout du compte pas classées en catégorie D. Dans ce cas, l’acheteur aura couru d’énormes risques pour acquérir à un prix parfois assez élevé une arme qui restera au bout du compte interdite ! C’est donc un très mauvais plan !

Certains sont plus malins !

Il a toujours existé sur notre territoire un commerce illégal d’armes au seul bénéfice des collectionneurs. Beaucoup de nos compatriotes ont fait appel à ce trafic avec beaucoup de candeur, après que certains pays voisins aient adopté un statut de collectionneur permettant de collectionner légalement des armes de 1ère et de 4ème catégories.

Malheureusement leurs espoirs de se constituer un embryon de collection ne se sont jamais concrétisés, faute de statut adéquat. Malgré cette absence de statut juridique, beaucoup de ces collectionneurs ont continué sur l’élan acquis, à acheter des Lugers, des Walther, des Mauser 96 ou des Colt (ce sont paraît-il les quatre fabricants vedettes !). Tout cela malgré les interdits et la répression. A tel point qu’il existe aujourd’hui en France de sublimes collections comptant plusieurs dizaines et parfois même plus d’une centaine de ces armes prestigieuses, détenues par un même particulier !

Jusqu’à l’année dernière, il était très courant de se voir proposer avec des airs de conspirateur un P.38 ou un Walther PPK « aux yeux bleus » (expression dont nous ignorons l’origine, mais qui parait désormais consacrée pour désigner une arme en état de tir enregistrée nulle part), payable en liquide et bon prix bien évidemment.

La perspective de la nouvelle législation semble avoir porté à ce petit commerce un coup aussi dur que celui de la fin de la loi sur la prohibition avait porté aux États-Unis dans les années vingt aux distillateurs clandestins. Désormais, les vendeurs se voient de plus en plus souvent répondre par la personne approchée : qu’elle est sensible à leur confiance, mais qu’elle préfère conserver ses fonds pour acquérir une arme de 8ème catégorie, qu’il ne sera pas nécessaire de cacher !

La perspective de voir l’éventail d’armes en détention libre (catégorie D) s’élargir est donc en train de tuer plus sûrement le trafic d’armes à destination des collectionneurs que la répression policière n’est parvenue le faire en soixante-dix ans !

Au final !

Dans la période de transition que nous vivons, nous ne pouvons que renouveler aux amateurs d’armes le vieux conseil du Far West : « continue à boire frais et garde ta poudre au sec » en clair : conservez votre sang-froid et gardez votre argent pour de bons achats ! Et le conseil de l’UFA a toujours été de rester en règle par rapport à la règlementation, même si les changements successifs ont souvent créé une « insécurité juridique ». Souhaitons que la nouvelle règlementation soit « durable » et permette « l’épanouissement » de la collection.


[1Nous ne savons pas encore.