Faut-il attraper les collectionneurs par les douilles ?
dimanche 1er décembre 2024, par
L’utilisation d’étuis de munitions pour les transformer en objets du quotidien remonte bien plus loin qu’on le pense. Dans l’imaginaire collectif, les coupe-papiers montés sur des douilles de cartouches de Lebel ou les porte-mines issus de la même munition datent de la guerre des tranchées où, en 14-18, le poilu désœuvré n’avait d’autre occupation que de bricoler des souvenirs pour les générations à venir.
La lecture d’anciens numéros de journaux comme Le Chasseur Français nous apprend que les premiers objets d’art populaire, issus de munitions, datent en fait de la fin du XIXème siècle.
Dans le Chasseur Français du mois d’octobre 1889, sur la réclame dédiée aux Docks Réunis, on découvre ainsi toute une collection de nouveautés parmi lesquelles figure une « cartouche Lebel porte-mine. Nouveauté « des plus gracieuses… » qui représente exactement la cartouche et la balle du fusil Lebel. En retirant la balle et en la remettant sur la cartouche en sens inverse, on obtient un superbe porte-mine, parfait en tout point pour la somme modique de 2 Fr. Sur la même page, le couteau-cartouche, monté sur étui de fusil Gras ne coûte que 0,75 Fr, mais il est fortement recommandé pour son originalité. L’encrier-revolver est plus cher, il coûte déjà 8 Fr quant au fusil-porte-plume, pour un franc, il serait dommage de s’en priver d’autant qu’il contient à lui seul un porte-plume, un porte-mine et un canif.
Comme on le voit, les objets les plus anciens qui utilisent des étuis de munitions pour leur transformation en objets usuels datent déjà de 130 ans. S’ils sont les plus anciens, ils ne sont pas pour autant les plus nombreux. C’est effectivement au décours de la Grande guerre que ces souvenirs particuliers vont connaître leur plus grande production et comment faire autrement alors que la matière première couvrait les champs de bataille et que les périodes de repos entre deux passages en premières lignes laissaient effectivement aux poilus du temps pour fabriquer des vases, des coupe-papiers, des briquets ou des porte-parapluies suivant le diamètre des objets récupérés entre deux assauts.
Pendant une bonne centaine d’années, ces souvenirs militaires ont figuré dans le mobilier de très nombreuses familles en France. Certaines en ornaient encore leurs cheminées il y a des lustres, d’autres les avaient rangé depuis longtemps dans le grenier familial.
Au fil du temps l’Art poilu ou l’Artisanat de tranchées est devenu un thème de collection incontournable pour les amateurs d’Art militaire. De nombreux musées ont ouvert des vitrines entières consacrées à ce thème et les collectionneurs n’ont pas été les derniers à s’y intéresser. La chose était d’autant plus familière que d’innombrables monuments aux morts participaient, à leur façon, à la vulgarisation de ce thème, encadrés qu’ils étaient par une ou deux paires d’obus de fort calibre, dûment neutralisés, qui renforçaient l’aspect martial de la décoration du monument.
Mais voilà, aujourd’hui on reste bloqué par des textes mal pensés qui n’ont pas évolué.
Quels risques ces antiquités pourraient faire courir à la population ?
Combien de méfaits ont été commis ces dernières années par un sombre individu armé d’un vase en laiton repoussé ?
La seule crainte, justifiée, que l’on pourrait avoir, c’est qu’un chercheur de souvenir « historique » se fasse sauter en manipulant des explosifs déterrés sur un champ de bataille. C’est arrivé déjà, trop souvent sans doute, mais l’attitude de quelques inconscients doit-elle porter préjudice à la population générale ?.
Alors certes l’esthétique et le bon goût ne sont pas toujours au rendez-vous lorsque l’on collectionne de l’Art poilu. Mais à côté des ratés, il y a des choses magnifiques, ingénieuses ou tout simplement pratiques.
Mais ce n’est pas pour lutter contre le mauvais goût de certains articles que le législateur en est venu à interdire une partie de ces souvenirs historiques. L’affaire remonte à la loi du 6 mars 2012 qui classe en catégorie A toute munition dont le projectile est supérieur ou égal à 20 mm (à l’exception de celles utilisées par les armes classées en catégorie D 1°), les éléments de ces armes et éléments de ces munitions.
Ce classement met en porte-à-faux de nombreux amateurs d’Art militaire qui ont dans leurs collections des munitions d’un calibre supérieur ou égal à 20 mm, neutralisées certes, mais dans un contexte incertain puisque la loi n’a rien prévu à cet effet,
La question a été portée en 2018, à l’Assemblée nationale par Monsieur le député Franck Marlin. En réponse à sa demande, la Ministre des armées de l’époque s’est arqueboutée sur les textes en vigueur, rappelant que seules les munitions d’un calibre inférieur à 20 millimètres peuvent être neutralisées « selon un procédé commun… cette opération devant être réalisée par un armurier ».
Pour le reste, aucune neutralisation n’est envisagée. Ces matériels restent donc, quel que soit le cas de figure [1], classés dans leur catégorie d’origine, c’est-à-dire en catégorie A2 § 6 [2].
Cette réponse s’appuie en partie sur la crainte de voir des amateurs s’adonner à la recherche de vieilles munitions encore actives, sur d’anciens champs de bataille soit pour leur propre compte soit pour les négocier auprès de collectionneurs avec la crainte en filigrane de voir se développer la circulation de matières explosives ou la survenue d’accidents graves, sinon mortels liés à une manipulation inappropriée de ces munitions.
Alors après tout ça, faut-il attraper les collectionneurs par les douilles et faire retentir le sifflet à roulette chaque fois que sur un vide-greniers apparait un cache-pot gravé tiré d’une douille de gros calibre ?
L’UFA va s’engager à la résolution de ce problème, ne serait-ce qu’en mémoire de nos aïeux et de leurs combats héroïques dont on a fêté le centenaire il y a quelques années.
Comment me direz-vous ? Et bien en commençant par faire la part des choses.
Il faut donner à ces objets un statut lié à leur destination finale et cesser de les identifier à ce qu’elles étaient avant leur transformation.
A défaut, on peut toujours, sur un plan strictement réglementaire, les assimiler à des « Matériels de guerre antérieurs au 1er janvier 1946 et dont les armements sont rendus impropres au tir par l’application de procédés techniques définis par arrêté du ministre de la défense » [3].
Il suffit pour cela d’étendre aux étuis des munitions d’un calibre supérieur à 20 mm, les dispositions appliquées aux munitions d’un calibre inférieur.
Pour les projectiles par contre le problème reste entier car ils devraient être « intégralement vidés de toute matière explosive » et dans ce domaine, il semble que seuls les démineurs de la sécurité civile soient compétents.
Rel. LV-03/12/24