Article paru dans la GA N°468 de octobre 2014
Regards sur la liste complémentaire
lundi 22 septembre 2014, par
Si cette série d’articles conserve une valeur historique indéniable, la mise en place de la doctrine l’a rendu obsolète. Nous l’avons gardé à titre d’archive historique.
Sous l’impulsion des collectionneurs, une liste de 74 armes normalement classées dans les anciennes 4ème ou 1er catégorie, a été publiée dès 1986 [1]. Il s’agissait de les classer comme armes de collection en raison de leur rareté. Aujourd’hui la loi a prévu un liste d’armes d’un modèle postérieur à 1900. Ya plus qu’à !...
Sous l’impulsion de Charles Hernu, alors Ministre de la Défense, un arrêté classe en 8ème catégorie (notre actuelle catégorie D) 74 armes de poing d’un modèle postérieur à 1870, millésime de l’époque. Cette décision ravit les collectionneurs, qui désigneront ces armes sous le nom de « nouvelle huitième catégorie ».
Ces listes rassemblent des modèles rares et peu décrits par la documentation de l’époque. Et il n’y avait pas Internet ! Aussi les collectionneurs se fondent sur un descriptif sommaire des armes « libérées », publiées dans leurs principales revues.
C’est ainsi que, faute d’éléments d’identification irréfutables, de nombreux collectionneurs, mais aussi certains marchands vont acheter des armes ressemblant à celles libérées mais en réalité toujours classées en catégorie 1 ou 4 (catégorie B aujourd’hui). En voici deux exemples : le Colt 1900 et le Bergmann Bayard.
Colt mle 1900, arme à hauts risques
Ce Colt en calibre .38, conçu par John M. Browning est l’une des premières armes de poing semi-automatiques de gros calibre commercialisées à l’aube du vingtième siècle. Le plupart des collectionneurs n’en savent guère plus ainsi que les rédacteurs de l’arrêté.
- Un pistolet Colt automatque calibre .38, que les collectionneurs contemporains désignent sous le nom de « Colt 1900 »
La première erreur est de parler de « Colt modèle 1900 ». Cette appellation est une invention de collectionneurs, le nom officiel de l’arme est « .38 Automatic Colt pistol ». Cela est confirmé par l’auteur américain Douglas G. Sheldon [2]. Il a distingué les premiers Colt .38 automatiques en trois catégories :
Les « vrais modèle 1900 » comportant 4274 pistolets fabriqués entre février 1900 et mai 1902, et équipés de glissières entaillées pour le montage de la « hausse-sûreté ». En décembre 1901, la firme abandonne cette hausse-sûreté au fonctionnement peu sûr. L’entaille est obturée en usine par une pièce rapportée. Des armes livrées antérieurement sont retournées en usine par leurs propriétaires pour mise aux normes. Sur ces Colts, la seule date de brevet est celle du 20 avril 1897.
Les variantes « Sporting » et »Military » de Colts à carcasse sans entaille pour la hausse-sûreté. Lorsque la réserve de carcasses entaillées pour la hausse-sûreté arrive à épuisement, Colt poursuit la production de son pistolet automatique calibre .38 en dotant désormais ses armes de glissières qui n’ont jamais été usinées pour recevoir la hausse-sûreté.
- Pour pouvoir viser, le tireur devait effacer la sûreté en l’enfonçant dans la glissière. L’idée était brillante mais ce dispositif, qui provoquait des ratés de percussion fut au
bout du compte abandonné et les sûretés-hausses furent
souvent supprimées sur
les pistolets qui en étaient équipés et leur emplacement fut bouché par une pièce métallique.
La fabrication se poursuit sous cette forme au cours de l’année 1902, jusqu’à ce que Colt décide de fabriquer une variante de son arme dotée d’une poignée et d’un chargeur un peu plus longs destinée à être proposée à l’armée américaine.
Afin d’éviter les confusions liées à l’existence de deux versions du même pistolet automatique, Colt baptise les versions à poignée courte et chargeur de sept cartouches « Sporting model » alors que la version à poignée alongée et à chargeur de huit cartouches prend l’appellation de « Military model ». Ce changement d’appellation intervient alors que la numérotation des pistolets atteint le numéro 5000 (environ). A ce moment, la mention du brevet du 9 septembre 1902 sera ajoutée du côté gauche de la glissière, après celle du brevet de 1897. Cela vaudra à cette variante d’être baptisée « Colt modèle 1902 Sporting » par les collectionneurs. Par la suite diverses variantes de ces marquages seront utilisées (sur deux lignes, sur trois lignes, etc). Douglas Sheldon estime à 6900 le nombre de « Sporting models » fabriqués entre 1902 et 1907.
- Le classement de cette arme pourrait faire l’objet d’un débat d’experts : seul le brevet de 1897 est mentionné sur la glissière mais son numéro de série est supérieur à 4274 . Alors modèle 1900 ou modèle 1902 ? Le fait que la glissière ne soit pas entaillée pour recevoir la hausse sûreté, le classe plutôt comme un modèle 1902.
Une extrême confusion
Ce rappel illustre bien l’extrême confusion qui existe. Il faut juste savoir que, peuvent être retenus comme mle 1900, les Colts dont la glissière comporte l’entaille pour la hausse-sûreté, que cette entaille ait été ou non rebouchée par la suite. Il faut aussi que leur glissière porte comme seule mention de brevet celle du 20 septembre 1897 et que le numéro de série soit inférieur à 4274.
Un autre éminent spécialiste américain : Norm Flayderman [3], arrête pour sa part la numérotation des modèles 1900 à « about 3500 ».
- Glissière de modèle 1902 non entaillé à l’arrière pour recevoir la hausse sûreté. Elle porte la mention du brevet de 1897 et de celui de 1902, dans le cas présent sur la même ligne, mais il existe au moins quatre variantes de ce marquage.
Pour finir, reportons nous à ce qu’écrit Douglas Sheldon [4] : « Il est important de garder à l’esprit que la production ne fut jamais interrompue entre la fabrication du pistolet automatique Colt (modèle 1900) et celle du « Sporting model ». Les gens de chez Colt les considéraient comme le même pistolet, sur lequel des améliorations avaient été introduites en cours de fabrication. Le changement de nom se fit surtout dans un souci de commodité et aussi pour annoncer l’abandon de la hausse-sûreté, source de dysfonctionnements, que l’on trouvait sur le « model 1900 ».
En 1986, l’ouvrage de Sheldon était encore en préparation, Yves Cadiou n’avait pas encore publié sa série d’ouvrages sur les Colts et très peu d’articles avaient été écrits dans la presse française sur les Colts modèles 1900 et suivants. Collectionneurs et vendeurs étaient donc assez peu documentés sur le sujet. Après la publication de l’arrêté de 1986, nombre de collectionneurs ont acheté en toute bonne foi des modèles 1902 modèle « sporting » et même parfois « military » en croyant en toute bonne foi avoir acheté un modèle 1900 en vente libre alors qu’ils avaient involontairement acquis une arme de 1ère catégorie. Les vendeurs de ont délivré une facture sans penser que cela pourrait leur valoir d’être poursuivi pour « trafic d’armes de guerre ».
Toute cela ne troubla nullement l’ordre public, car le nombre d’armes sur le marché restait confidentiel. Moins de 5000 « Mle 1900 », 6900 « Sporting » et environ 16000 « Military models » ont été produits au début du vingtième siècle et il n’en reste pas beaucoup sur le marché de la collection. Leurs prix les placent hors de portée des voyous. Ajoutons que le tir de munitions modernes dans ces pistolets serait extrêmement dangereux : le recul de la glissière n’étant arrêté que par une fragile clavette transversale. La rupture quasi-certaine de cette pièce en cas de tir de munitions à trop forte pression risque fort de projeter la glissière entre les deux yeux de l’utilisateur !
Nous avons pris le Colt 1900 comme exemple. Il n’est pas dans notre propos de fustiger un modèle mais de montrer à l’administration combien l’expertise est difficile. Elle doit donc nous faire confiance. |
Le Bergmann Bayard
Les pistolets Bergmann figurent au nombre des tous premiers pistolets automatiques commercialisés. Ils occupent donc une place de choix dans le cœur de bon nombre de collectionneurs d’armes de poing. Ces pistolets n’ont été produits qu’en faible quantité et à peine en voit-on aujourd’hui passer un ou deux par an sur les sites de ventes français.
- Ces trois Bergmann Bayard, saisis par la police chez un collectionneur, lui ont été restitués après que la défense ait fait valoir que les pistolets Bergmann Bayard étaient classés en 8ème catégorie par l’arrêté de du 8 janvier 1986. Cela bien que le texte ait concerné des Bergmann en calibres 7,5 et 8mm et que ces trois Bergmann-Bayard soient en calibre 9 mm. Leur propriétaire les conserve désormais avec les scellés de restitution attachés au pontet, d’autant plus que le décret du 2 septembre 2013 a oublié de citer les Bergmannn Bayard dans la liste des armes classées en catégorie D2.
Après la publication de l’arrêté(1) les vendeurs d’armes de collection se sont trouvés confrontés à une très forte demande de la part des collectionneurs, dont beaucoup voulaient à tout prix un pistolet Bergmann. Les quelques Bergmann 1896, 1897 ou « Baby » ou « Simplex », disponibles sur le marché français ou importés des USA ont vite été épuisés.
Certains vendeurs peu scrupuleux ont proposé des pistolets Bergmann Bayard. Les Bergmann Bayard ne sont pas non plus des armes très courantes, mais elles ont été fabriquées en nombre un peu plus important que les modèles antérieurs. De plus, les vendeurs pouvaient se réfugier derrière une ambiguïté de la rédaction de l’arrêté de 1986 incluant dans la liste des armes classées en 8ème catégorie les pistolets « Bergmann Bayard et Simplex, modèle 1898, 1899 et 1901 en calibre 7,5 et 8 mm. » Cette formulation, qui paraît oublier les Bergmann modèles 1894, 1896 et 1897 est curieuse d’autant plus qu’il semble que le Bergmann Bayard n’ait été chambré qu’en 9 mm (9x23mm ou 9mm Bergmann Bayard).
Néanmoins, plusieurs collectionneurs qui avaient acheté des Bergmann Bayard, croyant de bonne foi qu’il s’agissait d’armes de 8ème catégorie, ont été saisi. Mais ils sont parvenus à en obtenir la restitution de la part de la justice, en s’appuyant sur ce texte.
Dans ce cas aussi, on ne peut que se réjouir que ces collectionneurs aient eu gain de cause d’autant plus que les Bergmann Bayard ne sont pas des armes courantes et que les prix auxquels ils étaient proposés en bourses aux armes les mettaient hors de portée des voleurs de mobylettes !
Le nouvel arrêté a intégré les données de l’arrêté de 1986, en reprenant seulement la liste des armes d’un modèle postérieur à 1900, les autres étant désormais classées de facto en catégorie D. En publiant cette liste,
l’administration a oublié (volontairement ou non) d’y mentionner le Bergmann Bayard, ce qui replonge dans l’illégalité les détenteurs d’armes de ce type, qui se croyaient couverts par les jurisprudences antérieures à 2013, ordonnant la restitution de Bergmann Bayard saisis.
L’expérience
Ainsi avec le recul des 28 ans qui nous séparent de la première libéralisation, on peut résumer ainsi :
faute de documentation des collectionneurs se sont mépris et sont aujourd’hui dans l’illégalité sans le savoir,
certains marchands ont été de mauvaise foi, d’autres victimes eux aussi de l’absence de documentation,
si plus tard ces collectionneurs ont compris, ils ont pris le parti de conserver des pièces, désormais invendables. Ceci alors qu’elles avaient représenté un investissement important. Ils espèrent qu’une nouvelle mesure de déclassement interviendra. En attendant, leur très grande similitude avec les modèles effectivement classés en arme de collection, leur permet d’échapper aux ennuis,
en 28 ans, les armes classées à tort en 8ème catégorie ou D2 n’ont jamais été impliquées dans la moindre affaire de droit commun.
Affaire de spécialiste
Aussi l’UFA a-t-elle proposé à l’administration une extension de la liste des armes classées en catégorie D2, tenant compte des petits ratés qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’arrêté de 1986.
Dans le cas des deux types d’armes que nous avons aujourd’hui évoqués pour illustrer nos dires, l’UFA propose le classement en catégorie D2 des Colts modèles 1902 « Sporting » et « Military, des Bergmann Mars et Bergmann Bayard en calibre 9mm.
Notre association a d’autant moins d’hésitation à soutenir ces propositions :
qu’il s’agit d’armes fabriquées en très petites quantités, qui ne risquent absolument pas d’inonder le marché,
que ces pistolets sont aujourd’hui dotés de mécanismes archaïques et tirent des munitions qui ne sont plus fabriquées,
que les prix qu’atteindraient aujourd’hui ces armes si elle étaient vendues librement, les rendraient sans intérêt pour ceux qui cherchent une arme pour des activités délictueuses.
Notre association a sévèrement critiqué le contenu du texte sur la dangerosité avérée. Cet arrêté a été pris sans concertation alors que nous avions donné nos propositions étayées tant sur le plan de l’histoire que celui de la « dangerosité ». L’administration a choisi seule et l’on a vu ce que cela a donné avec la publication de sa liste. Donc nous insistons pour que ce prochain texte soit pris avec un travail de collaboration maximum, c’est ce que nous sommes allé dire en juillet, au cours d’une réunion au Ministère de l’Intérieur.
Merci à Luc Guillou pour sa précieuse collaboration.
Voir aussi :
nouvelle définition des armes de collection au 6 septembre 2013,
Ce quel’UFA avait demandé pour les collectionneur,
[1] Arrêté du 8 janvier 1986 repris intégralement par l’arrêté du 7 septembre 1995 et son annexe,
[2] il a publié un livre en 1987 « Colt’s .38 automatic pistols ». La diffusion de ce livre en France restera extrêmement restreinte et beaucoup de nos compatriotes n’en ont même jamais eu connaissance,
[3] Flayderman’s Guide to Antique American Firearms,
[4] page 73 de son ouvrage,