Article publié dans la Gazette des armes 513 de novembre 2018

Epaves d’armes, comment les classer ?

jeudi 1er novembre 2018, par Jean-Jacques BUIGNE fondateur de l’UFA

Le classement des douilles d’artillerie Bien souvent, les autorités de police ou de douane sévissent face à une épave d’arme. Et c’est une véritable chasse au détriment des vestiges du passé. Les collectionneurs subissent un double langage : d’un côté, on leur parle de sauvegarde du patrimoine historique avec un devoir de mémoire, de l’autre, on saisit, on détruit et on réprime à̀ tour de bras ! Et parfois aussi on détourne ! De quoi devenir schizophrène sous l’effet de ces attitudes contradictoires de la société !

Quand les douaniers et divers services de police font la chasse aux collections, les services du déminage récoltent. Facile : les épaves d’armes ne sont pas définies par la règlementation des armes et les douilles de plus de 20 mm ne pouvant être neutralisées sont « juridiquement » illégales. Alors, tous les musées ou collectionneurs qui évoquent les conflits du XXe siècle sont, de fait, dans l’illégalité. Sans compter les innombrables municipalités qui décorent leurs monuments aux morts avec des obus parfois gigantesques.

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Selon les textes, toutes ces reliques « archéologiques » restent classées par la règlementation malgré leur état, ce qui n’empêche pas des douilles de 75, des fusil Berthier mle 16, des bandes de mitrailleuses de plus de 30 coups etc…, de figurer en bonne place dans chaque vitrine.

Une épave serait encore une arme...

Les terribles combats des deux guerres mondiales qui se sont déroulées sur le sol français, ont laissé de nombreuses traces. Et encore très longtemps après, des armes sont ramassées dans un état de quasi-minéralisation, avec l’œuvre du temps et des conditions de stockage, elles sont devenues des débris. Bien entendu, les mécanismes sont indémontables, toutes les pièces sont soudées par l’oxydation et parfois l’ensemble tombe même en poussière. C’est ce que l’on appelle une « pièce de fouille » qui est totalement inactive. « Autrefois, elle avait été une arme, mais elle est presque seule à s’en souvenir ». Pour le collectionneur, c’est un témoignage précieux de ce qui s’est passé dans sa région.

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Question  : ces armes détruites volontairement, sont elle encore des armes ?
Réponse  : non bien sur, parce qu’elle ont été détruite.
Nouvelle question : mais alors, une épave qui est une arme détruite "naturellement", est elle encore une arme ?

Et ces épaves ont été exposées lors des commémorations du centenaire de l’armistice de 1918 et présentées aux scolaires dans un cadre pédagogique. Mais voilà, des « ayatollah » des armes s’emploient à les classer dans l’une des trois catégories règlementées. Leurs arguments, les éléments essentiels (canon, carcasse, boite de culasse, barillet, systèmes de fermeture [1])) ne sont pas neutralisés selon les normes européennes. L’oxydation ou la « déliquescence » de l’arme n’étant pas une norme « légale » de neutralisation.
Ainsi, on retrouve dans certaines expertises judiciaires de la police scientifique, des armes classées en catégorie A, B ou C alors que, l’expert reconnait lui même que ces épaves sont non fonctionnelles et qu’il serait impossible de les remettre en état. Ainsi, dans le même document, l’expert dit blanc et noir. Le drame est que le juge qui ne fait qu’appliquer les textes, va pénaliser l’apparent délinquant alors que ce n’est qu’un « sauveur de mémoire ».

...pourtant ce qui ressemble à une arme, n’est « plus » une arme...

Pourtant, comme dirait Monsieur de La Palisse, une épave n’est qu’une épave ! Même les casses automobiles doivent rendre les cartes grises des épaves de voiture. Cela sous-entend que l’administration ne leur reconnait plus le statut de véhicule, mais uniquement celui de ferraille.
Il existe dans notre règlementation, un arrêté qui définit avec détails comment détruire une arme. Dans ce texte, l’administration exclut du classement dans l’une des 4 catégorie du CSI, une arme qui n’est plus fonctionnelle en raison de son état de délabrement et qui est simplement qualifiée de « ferraille ».

...même le Conseil d’État le dit !

Le CSI [2] définit l’arme à feu comme étant une « arme qui tire un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive ». Mais ce n’est pas une arme neutralisée car elle aurait dû être « rendue définitivement impropre au tir de toute munition par l’application de procédés techniques assurant que tous les éléments de l’arme à feu à neutraliser ont été rendus définitivement inutilisables et impossibles à̀ modifier ».

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Il ne viendrait à l’idée d’aucune personne censée de classer ces « ferrailles » dans des catégorie d’armes. Pourtant des poursuites sont engagées pour de telles détention. L’outrage du temps constitue parfois une neutralisation bien pire que celle prévue par les textes règlementaires. Si la notion de « ferraille » n’était pas reconnue, il faudrait déclarer ces épaves en préfecture, un comble !

Il est bien évident qu’aucun « procédé technique » ne peut être employé sur une épave délabrée, ce serait aussi inutile qu’un « plâtre sur une jambe de bois ». De plus, pour opérer une neutralisation, il faut démonter l’arme pour intervenir à l’intérieur. Or, ce démontage est impossible sur une épave qui part en poussière. De plus, le matricule est souvent effacé par le temps, alors qu’il est indispensable pour être porté sur le certificat et sur le registre de l’armurier lors de la vente en C9. Ainsi, on se trouve devant un bloc de « ferraille » qu’il est techniquement impossible de neutraliser selon les normes européennes.
La directive européenne donne cette définition de l’arme à feu : « on entend par arme à̀ feu toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible. » Ainsi, même pour l’Europe, une épave-ferraille, n’est pas une arme à feu puisqu’elle ne « propulse aucun projectile ».
A propos d’une épave d’hélicoptère, un arrêt du Conseil d’État a relevé une faute de la Douane, en précisant : « ...compte tenu de son état d’épave, il n’a plus le caractère de matériel militaire ».

Neutralisation impossible

De plus, la neutralisation est rendue impossible. Les nouvelles normes européennes exigent que les pièces interne soient neutralisées. Or si le démontage est impossible sans que les éléments de l’arme partent en poussière, la neutralisation normée par l’Europe est irréalisable.

Un peu de bon sens

Au moment du centenaire de la fin de la 1ère GM, alors que tous les « poilus » ont disparu, il est de bon sens de reconnaître que le temps a accompli son ouvrage et que ce qui a été n’est plus. Arrêtons de poursuivre les musées ou collectionneurs et laissons-les accomplir paisiblement la mission qu’ils se sont donné de préserver ces artefacts dans la mémoire des générations actuelles et futures. Ainsi les sacrifices endurés par nos aïeux pour rester libres seront respectés.

- Nous ne voulons plus être la « vox clamantis in deserto » la voix de celui qui crie dans le désert [3], ainsi, il va falloir avancer durablement. -
Témoignage
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Le mauser du grand-père dans son environnement collection. Le fusil et les douilles de 77 ont été « prélevées » par les démineurs comme « objet dangereux ».

Sacrilège sur un souvenir de poilu

Jean-Guillaume, un de nos correspondants de Normandie, nous raconte son histoire.
« Encore tout jeune en 1982, j’ai assisté à la remise de la Légion d’Honneur de mon arrière-grand-père qui devait décéder deux ans après. Sa citation de poilu lui a valu la récompense suprême. Tout de suite, je me suis demandé : « mais où est passé le Mauser du grand-père ? » Ce n’est que 25 ans après que j’ai retrouvé le fusil chez des lointains cousins avec toutes ses décorations.
Ce Mauser, c’était déjà toute une histoire. Fabriqué à Berlin en 1916, il a été arraché à l’ennemi par un soldat du 410ème RI. Il avait survécu aux réquisitions de l’occupant de la 2ème GM et, c’était le fusil qui était bien plus grand que moi quand j’étais petit garçon. Je ne vous dis pas la joie de le retrouver, presque une consécration. Bien sûr, il était très oxydé, percuteur bloqué, mais c’était celui de mon bisaïeul. Ainsi il aurait pu passer de génération en génération.
Mais j’ai commis l’erreur d’exhiber en public un vieux Chassepot. Ce qui a déclenché une perquisition et la saisie du Mauser non déclaré du fait que n’étant ni chasseur, ni tireur, j’attendais la carte de collectionneur pour le régulariser.
Après, tout a basculé et j’ai vécu l’hallali : mes douilles gravées confisquées de même que l’artisanat de tranchée, portière d’une voiture de collection forcée alors qu’elle était ouverte. Les cartouches de mauser pétardées après avoir été pesées dans leur lourde caisse d’origine, du coup cela fait des scellés « de poids ». Les fusils sans culasse sont confisqués, « ouais, il suffit d’en mettre une… ». Deux canons de rechange de MG 42 bouchés par une « vieille neutralisation » artisanale servent de prétexte à une incrimination de détention de catégorie A. Bref , une bien pénible expérience. Tout cela alors que mon casier judiciaire était vierge, moi ancien sous-officier décoré des troupes de marine, j’attends le verdict de mon procès pour février 2019. »


[1Art R311-1du CSI, I-18 éléments d’armes,

[2Art R311-1 du CSI 5° arme à feu et 16° arme neutralisée

[3citation de Saint Jean Baptiste