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Tir au 11mm Gras de Cadet.

vendredi 3 avril 2009, par Julien LUCOT

La défaite de 1870 et les évènements qui la précédèrent développèrent un climat de revanche en France, contre l’Ennemi, l’Allemagne (tout juste formée politiquement en 1870 lors de la proclamation de l’empire allemand à Versailles dans la Galerie des glaces).

Le développement de l’armement est dans ce contexte très important, en volume de réarmement, mais surtout en innovations. Le fusil Gras détrône son ancêtre le Chassepot en 1874, il n’est en fait qu’une extrapolation de ce dernier pour le tir d’une cartouche métallique (économie, opportunisme ou génie industriel…), l’arme de poing n’est pas en reste avec l’adoption d’un revolver à cartouche métallique à percussion centrale en 1873. L’armement lié à l’artillerie connaît aussi des évolutions importantes.

La société civile abreuvée et galvanisée par la presse et les politiques, prend une part importante à cet état d’esprit. Les sociétés de tir fleurissent, l’armement à disposition étant directement issu d’armes réglementaires.

Dans les années 1880, les fonctionnaires du ministère de la guerre
travaillent sur le projet d’initier au plus tôt les citoyens au maniement des armes dans un contexte de « troupe » ou du moins dans un encadrement militarisé. L’objectif étant de gagner en temps et en efficacité lors de formations ultérieures, l’individu n’étant plus à « initier » sur les fondamentaux de l’arme.

Ce ministère prend contact avec le ministère de l’instruction
publique, il est en effet plus rationnel de pratiquer ces formations dans un cadre organisé et maîtrisé, l’école primaire correspondant parfaitement à ces critères. Cette décision est complétée par des cours théoriques et patriotiques que peut recevoir la jeunesse de France. Les enfants de onze à treize ans vont donc être familiarisés avec le maniement des armes, manipulation, ordre serré , parades, prises d’armes, exercices de pointage, tir.

Dans ce cadre il convient d’élaborer une arme parfaitement adaptée à l’usage de l’instruction scolaire ainsi qu’à la taille moyenne des élèves-recrues. Le cahier des charges demande la sécurité de fonctionnement de l’arme, la ressemblance avec l’arme réglementaire (à savoir le fusil d’infanterie Gras modèle 1874 M80), un calibre similaire de 11mm adapté au tir réduit et enfin une adaptation de l’arme à la morphologie des tireurs (enfants de 11 à 13 ans). Cette liste n’est pas exhaustive mais reprend l’essentiel des caractéristiques qui nous intéressent.

Plusieurs solutions ont été entreprises pour la réalisation de ces armes, la première fut la réutilisation de fusils Chassepot et de culasses de fusils Gras. D’autres armes ont été réalisées avec des armes du système Gras réformées ou déclassées, enfin d’autres armes ont été réalisées par l’industrie civile avec l’utilisation de pièces d’origines diverses (notre modèle d’essais provient de cette industrie).

La fabrication est estimée à 50.000 pièces réalisées entre 1880 et 1881. Les Manufactures d’Armes Nationales sont Saint Etienne, Tulle et Châtellerault, les marquages étant respectivement S, T, C 1881. Les fabrications civiles ont en général pour point commun l’absence de marquage et de date, excepté sur les crosses (numéro et lettre « M ») et sur les boîtiers.
Les caractéristiques techniques de l’arme doivent permettre par le poids et les dimensions de cette dernière, d’être utilisable facilement par des enfants de onze à treize ans.

La hausse est la réplique de celle du modèle règlementaire, cependant les distances sont fonction du calibre de tir réduit, à savoir 10, 20, 30 et 40 mètres. Certaines pièces ont été modifiées, crosse réduite, canon et tonnerre allégés, etc …

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En haut un modèle réalisé par l’industrie civile.
En bas un modèle issu d’un Chassepot.
Noter l’absence de bronzage sur le modèle du bas et le vernissage de la crosse.

L’arme ayant été testée est dans ma collection depuis quelques années, achetée à un particulier non collectionneur. Ce dernier l’avait acquis pensant acheter une arme d’infanterie Gras. Cette arme est dans un état proche du neuf… le bronzage est un peu éclairci par endroits, mais d’un joli brun tabac. Le canon est irréprochable, aucune trace de corrosion, a-til seulement déjà tiré ? La monture est produite dans un beau noyer, poncé huilé. Bref que demander de plus ?

Il n’y a que très peu de marquages, la culasse ayant une nomenclature militaire classique, le boîtier de culasse et le tonnerre un marquage Commercial X15x. Une fois l’arme démontée, un poinçon de contrôle est présent sous le canon. La crosse est marquée du numéro de l’arme.

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- A noter l’absence d’indication de distance sur la hausse de notre arme. Le cran principal
hausse couchée correspond à 30m, le curseur hausse levée correspond lui à 50m.
- Le fusil de Cadet à une baguette correspondant à la longueur de son canon, il n’y a pas
de directrice de baïonnette sur ces armes. En effet les baïonnettes à bouts arrondis que
l’on rencontre parfois sont destinés aux armes de manipulation, impropres au tir. Il
semblerait que certains Cadet aient des montages de baïonnettes, ceux que j’ai eu en
main sont sommaires et laissent penser à une modification ultérieure.
Modification d’un Gras de Cadet, destinée à adapter la baïonnette de manipulation
- La directrice ne reprend pas la forme générale de celle réglementaire.

Les premières munitions destinées aux fusils de Cadet sont des réutilisations de munitions à blanc de type Gras, modifiées pour recevoir une balle ronde. La distance de tir s’étendant à quelques dizaines de mètres (cours d’école), ce projectile donne satisfaction.

D’autres munitions vont apparaître ultérieurement, notamment avec des balles ogivales et des rechargements permettant d’accroître la précision.
Rappelons que la douille réglementaire de 11mm Gras (11,15X59r) mesure 59mm, la cartouche réduite du Cadet 50,60mm et la 348 winchester en configuration Gras, 55mm.
La munition de notre arme est le 11mm Gras dit de Cadet. Cette munition ne se différencie de la munition réglementaire que par la longueur de la douille (l’épaulement étant similaire), le type de projectile (forme et poids adaptés au tir réduit) et à la charge de poudre.

Le rechargement de notre cartouche demande les jeux d’outils du 11 mm Gras. Ces outils sont généralement fabriqués sur commande dans ce calibre, mais l’excellente firme américaine CHTOOL les a au catalogue (référence 11,15x59r). Bon marché, ils sont néanmoins de très bonne facture, se composant classiquement de trois outils, recalibreur, expandeur, et sertisseur. A noter que pour la suite des opérations un expandeur RCBS de 32 acp sera indispensable (ou un autre outil de forme similaire). Il faut compter un budget de l’ordre de 160 à 200 € pour le jeu complet hors shell holder (numéro 8 de chez Lee).

Le choix de la douille est crucial, n’ayant pas trouvé de source d’approvisionnements durable sur le marché. Les cotes de la douille réglementaire font tout de suite penser à la douille à tout faire des tireurs aux armes anciennes, la 348 winchester. Entre autres cette douille nous permet de faire du 11mm Gras, Gras de cadet, 43 Espagnol, 8mm Lebel, 8mm Portugais, 8mm Autrichien et Hongrois, etc. …cette douille sera la base de notre étui.

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De gauche à droite, 11mmGras réglementaire, 11mmGras
sur base de 348w, 2 douilles de 1mmGras de Cadet sur base 348w.

La transformation de l’étui de 348w est relativement simple, le matériel nécessaire se résumant au jeu d’outils 11mm Gras et à un expandeur de type 32 acp de chez RCBS.

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De gauche à droite :
- 45 long Colt 260gr
- 11mm Cadet (balle coulée)
- 11mm73 200gr

Monter sur la presse l’outil expandeur CH TOOL en remplaçant la tige d’origine par celle de l’expandeur de 32 acp RCBS. Lubrifier l’intérieur de la douille avec de la graisse suffisamment fluide (la graisse RCBS lube case est idéale) puis passer la douille dans l’outils, la deuxième passe s’effectuant avec l’expandeur de 11mm Gras. La douille est ensuite dégraissée, réduite au Case Trimmer à 51mm et le collet recuit. Le reste de la modification s’effectuera lors du fire forming.

La charge de poudre destinée au fire forming est variable, dans le cas de la poudre noire, 2,45 grammes de PNF2 sont envisageables, en poudre sans fumée, 1,20 grammes de A0 suffisent. Nous utilisons lors du premier tir une balle de 400 grains. La douille ainsi obtenue aura les dimensions extérieures de la cartouche militaire, longueur exceptée.
Notons à ce stade que le fire forming, qu’il s’effectue à poudre noire ou à poudre sans fumée, doit IMPERATIVEMENT être réalisé dans une arme réglementaire du système Gras (infanterie ou autre). Les pressions nécessaires au formage de la douille nécessitent une arme ayant une solidité avérée.

Le choix du projectile est simple et répond parfaitement aux besoins du tireur. Il existe tout d’abord des moules reproduisant le projectile ogival de la balle d’époque. Dans le commerce trois types de projectiles peuvent convenir à notre arme.
Une balle ronde de 452 à 454, type cap and ball. Ce projectile fréquemment rencontré sur des munitions d’origine offre cependant moins de précision, et pose un problème de rétention dans le collet. En un mot il est parfaitement utilisable à courte distance et en employant exclusivement de la poudre noire.

Une balle de 45 long Colt est utilisable, celle de nos essais est une Balleurope en diamètre 452 pour 260 grains. Elle fonctionne correctement mais présente d’une part un emplombage plus important du canon et une plus grande difficulté pour siéger le projectile dans le collet. Le poids de ce projectile n’est pas nécessaire à notre rechargement, les résultats obtenus en cible sont quand à eux corrects.

Une balle destinée au rechargement du 11mm73, type Balleurope en diamètre 453 pour 200 grains. Cette balle présente de nombreux avantages, facilement disponible le poids et la forme rappellent la balle d’origine. Elle est de plus facile à siéger dans la douille.

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Pour comparaison, cartouche réglementaire
11mm Gras avec balle plomb et calepin de
1884. L’autre est une Gras de Cadet, base
348w avec balle plomb de 200grains.

Les phases de rechargement finales ne posent aucun problème particulier, il convient de sertir légèrement le projectile afin d’optimiser l’inflammation de la charge.
Une fois que toutes nos douilles auront été passées au fire forming, recuites une deuxième fois et égalisées au case trimmer, nous pouvons commencer le rechargement définitif. Nous utilisons des amorces CCI 200 Large Rifle, remarquons que des Large Pistol fonctionnent également. Pour la poudre, la A0 de la SNPE est très efficace. La charge se situe entre 0,70 grammes et 0,75 grammes suivant le projectile employé (utilisation de la dosette Lee de 1,3 Cm3). Avec cette poudre nous obtenons une régularité des vitesses. Il n’y a aucun imbrûlé, ni dans la douille ni dans le canon, preuve que la poudre et le chargement son pertinent.

ATTENTION
Il s’agit d’une charge réduite de poudre sans fumée, la poudre n’occupe que le 1/4 de l’espace disponible dans la douille, le risque de doubles charges est bien réel et aurait des conséquences désastreuses pour l’arme et le tireur.
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De nos jours fautes de « Cadets » il revient aux grands enfants de
faire revivre ces armes. Thème de collection passionnant, leur
précision et leur simplicité de mise en œuvre en fond également
de bonne carabine d’initiation pour jeune tireur.

Les sensations de tir sont confortables, la faible charge de poudre et le poids léger du projectile en sont l’origine. Notons cependant qu’un adulte utilisant cette arme se trouve relativement mal à l’aise, la crosse étant réellement très courte ! Pour ma part je mesure 186cm et il m’a fallut quelques séries avant de trouver mes repères et un confort de tir.
L’arme est agréable, superbement équilibrée, la visée s’effectue très nettement avec un alignement à 6 heures du visuel.

Chaque coup est régulier en cible, les résultats l’attestent, l’extraction de la douille ne pose pas de problème majeur, mais l’éjection n’est pas assurée (En cause l’écart entre le culot réglementaire et celui du 348 winchester). La distance de tir peut facilement être augmentée à une cinquantaine de mètres, mais chaque erreur de visée se traduit par un écart important en cible, la longueur de la crosse pose ici de réels problèmes (en particulier si on essaye un tir posé). Je dois trouver un adulte ou mieux un enfant de taille adéquat et maîtrisant le tir pour poursuivre les essais à cette distance.

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- Premier tir 54/60 distance 25m balles de 11mm73 200 grains 0,72 grammes A0.
- Deuxième tir 44/60 distance 25m balles de 45lc 260 grains0,72 grammes A0
- Troisième tir 59/60 distance 25m balles de 11mm73 200 grains0,72 grammes A0.

En conclusion, cette arme est très sympathique, elle est à même de ravir les collectionneurs, les tireurs et surtout les « jeunes » s’initiant au tir. Cette famille d’armes représente un thème de collection très intéressant, trouvant naturellement sa place avec celle des armes réglementaires de la même époque. Elles témoignent d’un temps révolu où l’instruction civique pouvait conduire à une certaine forme de militarisme et de nationalisme, quel fut leur impact dans l’histoire ?

Aujourd’hui ces armes nous transmettent une partie de l’histoire de cette fin du 19ème siècle. Ces fusils n’ont généralement que peu été sollicités, nous les retrouvons dans un état convenable, ils ne sont pas fréquents mais pour qui sait chercher et être patient… Classés en 8ème catégorie leur possession est libre, les mises en œuvre pour le tir sont relativement simples et donnent de bons voire de très bons résultats. La valeur est fonction de l’état de l’arme, mais une fourchette raisonnable s’établie entre 300€ et 500€. C’est l’occasion d’initier au tir le dernier de la famille ou le petit neveu avec autre chose qu’une carabine à plombs !

Avertissement
Cette étude porte sur une arme dont l’auteur dispose et n’est pas applicable à toute arme demême calibre. Seule la méthode est applicable en fonction de l’état de l’arme et descomposants. L’arme dans son intégralité devra être vérifiée par un professionnel. Il en va de même pour le projectile et la charge de poudre.
 

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